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REVUE DRAMATIQUE.

les obstacles de toute sorte ne manquent pas de se trouver sur sa route. Seulement le poète du boulevart s’est cru obligé envers ses spectateurs à un dénouement plus moral que celui qui termine les Ressources de Quinola. Le mérite triomphe par de légitimes moyens, et le dernier acte de Christophe le Suédois nous arrête sur le tableau de l’ovation décernée au génie par la reconnaissance des peuples. On aperçoit sur les derniers plans du théâtre des soldats, des drapeaux, des lauriers et un cheval blanc. Il est curieux de voir M. de Balzac chercher son point de départ dans ce que la scène sérieuse et la scène comique offrent de plus élevé, et arriver par d’invincibles tendances aux lieux où finit le domaine littéraire, à Christophe le Suédois. Encore si les Ressources de Quinola, en prenant au mélodrame actuel ses récens enthousiasmes, lui avaient pris également quelques traits de sa naïve morale, tradition bien affaiblie, quoique vivante encore, des mélodrames du vieux temps ! Mais les pensées sur lesquelles M. de Balzac suspend l’esprit des spectateurs à la fin de sa pièce ne sont pas de nature à l’édifier. Entre la courtisane et le forçat dont il a fait les compagnons de sa destinée, Fontanarès s’écrie : « Maintenant l’avenir est à moi ; nous irons en France ! » Ce qui, soit dit en passant, m’a paru une véritable épigramme contre notre pays. On prétend qu’à une représentation de Chatterton, un de ces pauvres jeunes gens dont l’auteur de Stello exaltait la folie noble et douloureuse essaya de se tuer quand on eut joué le dernier acte. Si le drame de M. de Balzac conservait dans le dénouement son analogie avec celui de M. de Vigny, si le corps de Fontanarès roulait à côté de sa machine brisée, comme celui de Chatterton roule à côté de ses manuscrits à demi dévorés par le feu, alors on aurait peut-être vu les soupirans méconnus, les amans repoussés de la mécanique, accourir puiser l’inspiration du suicide dans les Ressources de Quinola. La salle de l’Odéon aurait peut-être été ensanglantée par le trépas de quelque inventeur incompris, venant, le poignard à la main, insulter à la société qui lui refuse une patente ou un brevet. Tel qu’il est, le drame de M. de Balzac fera prendre aux poursuivans malheureux de la fortune des conseils beaucoup plus funestes pour les autres que pour eux ; Fontanarès peut leur communiquer un genre tout particulier d’exaltation qui ne me ferait pas craindre de laisser un pistolet à leur portée, mais bien de leur confier ma bourse.

Je crois la critique des idées beaucoup plus profitable que celle des faits ; aussi, c’est aux idées seulement que j’ai voulu m’attaquer dans le drame de M. de Balzac. Si l’on voulait descendre aux détails, on pourrait adresser aux Ressources de Quinola tout un ordre de reproches que les connaissances historiques de chaque spectateur, si faibles soient-elles, doivent suffire à lui indiquer ; mais je suis un peu de l’avis qu’émettait dernièrement encore un homme à qui la critique érudite serait pourtant aussi facile que la critique entraînante et chaleureuse. M. Magnin, à propos du Cid, tirait des