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LE SALON.

veau, et mérite d’être remarqué. Nous ajouterons que cet essai n’est pas seulement nouveau, ce qui importerait peu, mais qu’il est utile.

Il n’y a qu’un cri aujourd’hui sur l’abaissement, sur la faiblesse, sur le dévergondage, sur l’anarchie, sur les misères de toutes sortes dont la grande peinture est frappée. Nous avons eu occasion nous-même, ici et ailleurs, de nous associer à ces plaintes. Quel est le remède ? Nous l’avons dit aussi, et d’autres encore l’ont dit avec nous : rendez à la peinture son théâtre primitif, faites-la rentrer dans les temples, dans les palais, dans les monumens publics, donnez-lui des murs, et par ces murs une destination. C’est le plus sûr moyen de l’empêcher de divaguer comme elle le fait maintenant, et de s’épuiser en stériles efforts sans règle, sans direction et sans but. Associez-la à l’architecture, et ne craignez pas que sous la tutelle de cette sévère et inflexible maîtresse elle continue ses folies. Cette forte discipline pratique vaudra mieux pour elle que toutes les leçons et les déclamations de la théorie. Remarquons ce fait, que les plus grandes choses qui soient sorties, en peinture, de la main des hommes, se trouvent sur des murs ; ce sont, sans rappeler les pœciles, les leschés et les temples antiques, les chambres du Vatican, la chapelle Sixtine, la coupole de Parme, le Campo-Santo de Pise. Mais laissons là les temps écoulés ; laissons la Grèce, laissons l’Italie, dont les murs parlent pourtant si haut, mais de trop loin. Nous avons des expériences domestiques toutes fraîches encore. Allez au salon du roi de la chambre des députés, et dites si M. Delacroix aurait pu mettre sur une toile, dans son atelier, les richesses d’invention, d’imagination et de couleur qu’il y a déployées ? Connaissait-on bien M. Delacroix avant d’avoir vu ces peintures, et se connaissait-il bien lui-même avant de les avoir exécutées ? Indépendamment de l’immense surcroît d’énergie et d’ampleur qu’y ont acquis ses qualités éminentes de coloriste, son dessin, son style, ont aussi éprouvé une sorte de transformation. Qu’on se demande si jamais, dans un tableau destiné aux hasards du salon, il eût conçu et trouvé telle ou telle de ces figures couchées du plafond, celle de la Guerre par exemple, d’un jet si hardi et si fier, et d’un caractère si original ? Qu’on dise également, pour passer de l’ouvrier à l’œuvre, si ces peintures, en fortifiant le talent de l’artiste et en ajoutant à sa renommée, ne sont pas aussi une véritable conquête pour l’art lui-même ? Sans l’hémicycle de l’école des Beaux-Arts, aurions-nous jamais eu une expression aussi complète et aussi heureuse du talent de M. Delaroche, et aurait-il lui-même poussé si loin ces études