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commode. Elle avait quitté ses paniers, et d’énormes poches de crin soutenaient sa jupe d’étoffe de Perse à grands ramages. Une grosse épingle à médaillon attachait son fichu, dont les plis bien empesés se gonflaient à chaque mouvement de sa poitrine, et lui donnaient quelque ressemblance avec un pigeon qui se rengorge. Ses cheveux crêpés et poudrés à frimas étaient coquettement surmontés d’une coiffure de gaze ornée de rubans violets. Toute sa personne exhalait une senteur ambrée, qui, se combinant avec l’odeur violente du tabac d’Espagne contenu dans une délicieuse boîte d’écaille, remplissait l’air de ces émanations irritantes auxquelles sans doute il faut attribuer la découverte des maladies nerveuses que nos grand’mères appelaient des vapeurs.

Sur le devant du carrosse était assise une autre femme, qu’à sa tenue, à sa physionomie discrète et prévenante, il était aisé de reconnaître pour une suivante de bonne maison. Un petit chien hargneux, tout pomponné de rubans roses, et qui répondait au nom de Mignon, dormait sur les genoux de la dame. À moitié du relais avant d’arriver à Aix, la voyageuse s’éveilla et avança la tête à la portière.

— Andrette, s’écria-t-elle, nous arrivons.

— Madame reconnaît le pays ; un beau pays, vraiment ! répondit la suivante en regardant par l’autre portière la campagne grisâtre, silencieuse et embrasée.

— Oh ! non, non, Andrette, ce pays n’est pas beau, répliqua la dame en parcourant d’un regard ému la plaine bornée par les montagnes chauves de la Trévarèse ; mais c’est ici que je suis née. Là-bas, je vois la maison de mon père, la maison que je quittai il y a trente ans passés, et où je n’étais plus revenue.

À ces mots, elle passa son mouchoir sur ses yeux mouillés de larmes, et, se penchant à la portière, elle cria au postillon en langue provençale :

— À la Tuzelle ! Coupez droit par le petit chemin à gauche, et, si les ornières sont trop profondes, prenez à travers champs.

Le postillon lança intrépidement ses chevaux dans un chemin pierreux et coupé de ravins, où le carrosse roula avec d’horribles cahots, et non sans péril de verser sur les tas de cailloux qui bordaient cette voie peu fréquentée. La campagne était déserte, de tous côtés s’étendaient à perte de vue des champs dont la végétation semblait morte comme pendant les mois d’hiver ; pourtant, de loin en loin, quelques allées de vigne égayaient de leur verdure les tons grisâtres et brûlés du paysage. Pas un oiseau ne traversait l’air enflammé ; les insectes