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LE SALON.

ôter aux œuvres de l’art, si on les considère comme de simples produits échangeables, leur marché, si comme des créations de l’imagination et du goût, leur théâtre. C’est à ces titres que l’institution est chère aux artistes. Un instinct plus sûr que tous les raisonnemens les y attache, et les critiques dont elle est l’objet les effraient plus qu’elles ne les persuadent. Pour eux, attaquer le salon, c’est attaquer l’art ; c’est plus encore, c’est les attaquer eux-mêmes. Vraie ou fausse, leur conviction à cet égard n’est pas douteuse, et, quoi qu’on puisse penser sur le fond de la question, toujours est-il que ce n’est pas eux qui se plaignent. On a fait quelque bruit de certaines absences, et on en a tiré un argument contre le salon. On a dû supposer pour cela que ces absences étaient toutes volontaires et préméditées, et on a voulu voir là une petite conspiration. Ce parti pris serait fort dangereux. Dans ce cas-ci, la politique d’isolement serait une bien mauvaise politique. S’isoler, c’est se déclasser de son chef, c’est se faire exception, c’est jouer à l’Achille qui se retire dans sa tente. Un tel rôle ne peut se partager entre plusieurs ; il peut accidentellement échoir à un homme ; deux y sont déjà de trop ; à quatre, à cinq, à six, il serait ridicule. S’isoler en compagnie d’ailleurs, ce n’est pas s’isoler, c’est bouder. Or, on ne boude pas longtemps les grandes puissances, cour ou peuple. Tôt ou tard il faut se rallier, à moins qu’on ne veuille décidément abdiquer, fantaisie philosophique assez rare aujourd’hui. Cette prétendue coalition ne peut donc être attribuée à des hommes sensés. Ce n’est certes pas dans la sphère de l’art qu’on réussira jamais à reconstituer une classe aristocratique. Partout ailleurs ce n’est que difficile, ici ce serait impossible, et, ce qui vaut mieux, ridicule. Les hommes distingués auxquels on a fait allusion doivent donc être provisoirement absous.

Il est facile d’ailleurs d’expliquer, pour la plupart d’entre eux, la disparition dont on a le mauvais goût de les louer. Aucun n’a traité le public avec cette hauteur dédaigneuse. Tous ont en fait exposé, non pas dans les galeries du Louvre, il est vrai, mais sur les murs des monumens décorés de leurs mains. Les ardentes et splendides peintures du salon royal à la chambre des députés, par M. Delacroix, la vaste, l’ingénieuse et élégante composition de M. Delaroche à l’école des Beaux-Arts, les batailles dont l’heureuse et facile main de M. H. Vernet a couvert les murs des nouvelles salles de Versailles, justifient suffisamment ces maîtres de n’avoir pas travaillé pour le salon. Ils n’ont ni dédaigné ni fui le public, ni encore moins prétendu faire briller leurs œuvres par leur absence, comme ces images