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Sans doute ce serait là un rêve ; mais ce qui ne l’est pas, c’est que, malgré ces inconvéniens et, disons-le, ce désordre moral, peut-être inévitable, le gouvernement représentatif n’est pas moins le meilleur des gouvernemens connus, non-seulement aux yeux de la politique, mais aux yeux de la morale. Les maladies de la peau blessent la vue ; mais, lorsque le même venin, au lieu d’être apparent, se trouve caché dans les replis les plus intimes du corps humain, la maladie n’en est que plus terrible et plus incurable. Sous les gouvernemens absolus, il n’y a pas moins de corruption, de mensonges, de médisances, de calomnies. Il y en a davantage, car l’opinion publique ne peut rien prévenir, rien repousser. Tout porte coup, parce que tout est caché, mystérieux. Le coup ne se révèle que par des effets souvent irréparables. Le médisant, le calomniateur, sous un gouvernement sans publicité, est un empoisonneur, et la conscience humaine ne comparera jamais à ce vil scélérat le téméraire qui nous provoque à main armée sur la place publique.

Mais laissons les moyens et les réflexions qu’ils suggèrent, et demandons nous plutôt ce que les hommes politiques augurent des élections prochaines.

Nous aimons peu les pronostics. Les observateurs les plus attentifs reconnaissent qu’il y a toujours de l’inconnu au fond de l’urne électorale, et souvent les prévisions qui paraissaient les mieux fondées ont été cruellement démenties par le fait. La phalange de M. de Villèle fut brisée lorsque le pays ne paraissait pas donner signe de vie politique, lorsque le triomphe du parti alors dominant semblait assuré. Nous sommes cependant disposés à croire que les chances de l’épreuve qu’on va faire sont en faveur du cabinet. La tranquillité du pays nous paraît réelle, et son indifférence en matière de politique plus réelle encore. Certes il n’est pas insensible à certaines questions ; loin de là. On n’aurait pas grand’peine à trouver les limites de sa résignation. Mais chacun est bien résolu à ne s’occuper que de ses affaires jusqu’à ce qu’un événement majeur vienne l’en arracher et le ramener au forum. Jusque-là peu lui importent les noms et les précédens des ministres. On dirait que le gros du public est convaincu qu’après tout, dans l’état actuel des choses, les luttes ministérielles ne touchent guère aux intérêts de la France.

Dès-lors une vive réaction électorale contre le cabinet paraît en effet peu à craindre : il est à croire que le pays, tout occupé de ses intérêts matériels, ne repoussera pas les candidats d’une administration qui lui garantit la paix.

Ce que le cabinet a le plus à redouter, ce n’est pas la défaite, mais le triomphe : si le succès dépassait certaines limites, si le centre grossissait outre mesure aux dépens de la gauche, et surtout du centre gauche, le prestige du nombre troublerait l’imagination assez inflammable de tous ces hommes d’une orgueilleuse médiocrité qui abondent dans toute assemblée politique. Lorsque l’ennemi est dispersé, il n’est pas de conscrit qui ne s’estime apte à diriger la marche de l’armée victorieuse. Ce ne serait plus la démocratie, mais la vanité qui coulerait alors à pleins bords. Le cabinet ne tarderait