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Nous aimons à citer souvent les paroles de cet homme remarquable. C’est une langue politique à laquelle nous sommes peu habitués, et dont la simplicité et le caractère de résignation sans humilité ont quelque chose de touchant. Mais l’implacable Angleterre restait sourde à ces appels, et déjà elle préparait sur la frontière son armée d’invasion. L’émir ne garda plus de mesure, et, cessant de refuser à l’agent anglais le congé qu’il demandait, il envoya chercher le capitaine Vicovich, le fit escorter publiquement dans les rues de Caboul, et ouvrit immédiatement des négociations avec la Russie. Il écrivit alors à Burnes ces nobles et simples paroles :

« Je n’ai plus d’espoir en vous ; il faut que j’aie recours à d’autres. Ce sera pour sauver l’Afghanistan et notre honneur, et non, Dieu le sait, par mauvais vouloir contre les Anglais. Vous me dites que je me repentirai de ce que je fais… Si telle est la loi d’en-haut, alors tout notre peuple doit se confier à Dieu, qui a dans ses mains le bien et le mal de ce monde. Les Afghans n’ont rien fait de mal… Je vous remercie de la peine que vous avez prise de venir si loin. J’espérais beaucoup de votre gouvernement : je suis désappointé ; je l’attribuerai, non aux mauvais desseins des Anglais, mais à ma mauvaise fortune.

« Les créatures doivent se reposer sur le Créateur. »

Tout était désormais rompu, et l’émir ne songea plus qu’à se préparer à la guerre. Mais c’était lutter contre le flot vainqueur de l’histoire : la fortune était aux Européens. Les mahométans allaient d’eux-mêmes au-devant du joug, et ils semblaient dire dans le langage de leur religion : C’était écrit. Le gardien de la tombe de l’empereur Baber vint un jour trouver Burnes, et lui dit « qu’il avait vu dans un songe, la nuit précédente, les Feringees assis sur la tombe de Baber, et recevant les salutations des Afghans. » Un autre lui disait encore : « Vous vous écartez de nous, mais vous ne pourrez pas le faire long-temps. Notre contrée est bonne, mais elle est sans maître ; et, comme une belle veuve, elle s’offre volontairement à vous, et vous ne pouvez refuser de la prendre pour femme. »

Burnes prit enfin congé de l’émir le 26 avril, et arriva le 20 juillet à Simla, où il trouva lord Auckland. Le cabinet anglais, ayant en main les preuves de l’intervention de la Russie, avait adressé à Saint-Pétersbourg des notes énergiques. Le cabinet russe désavoua tout ; il rappela de Téhéran le comte Simonich, il sacrifia Vicovich, cet homme singulier qui passe comme un fantôme dans toute cette