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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

Ici encore cependant, le Dost avait quelques liens personnels avec la Perse. Sa mère était persane, et lui-même, en politique habile, avait laissé répandre le bruit qu’il partageait secrètement les croyances des shiites. Sans doute il risquait de s’aliéner par là les Afghans, mais il ralliait autour de sa personne la colonie puissante des Kuzilbachis, descendans des Persans établis à Caboul, et à laquelle il était, dit-on, redevable de son élévation à l’autorité suprême. C’est ce qui explique comment le Dost, après avoir vainement recherché l’appui des Anglais contre Lahore, finit par se tourner vers le Nord, et se jeter dans les bras de la Russie.

Toutefois, comme cet homme habile comprenait où était véritablement la force, il fit pendant long-temps tous ses efforts pour se concilier les Anglais. Quand lord Auckland vint prendre le gouvernement de l’Inde, le Dost lui écrivit : « Comme je suis depuis longtemps attaché au gouvernement britannique par les liens de l’amitié et de l’affection, la nouvelle de l’arrivée de votre seigneurie, illuminant de sa présence le siége du gouvernement, et répandant sur l’Indoustan la splendeur de sa face, m’a donné la plus vive satisfaction ; et le champ de nos espérances, qui avait été glacé par le souffle rigoureux des circonstances, est devenu, depuis la nouvelle heureuse de l’arrivée de votre seigneurie, l’envie du jardin du paradis… J’espère que votre seigneurie me regardera, moi et mon pays, comme à elle, et qu’elle me favorisera d’une lettre amicale[1]. »

Lord Auckland lui répondit à cette époque en protestant encore de la répugnance du gouvernement de l’Inde à intervenir dans les affaires de ses voisins. « J’ai appris, disait-il, avec un profond regret, qu’il existe des dissensions entre vous et le maharajah Runjeet-Singh (de Lahore). Mon ami, vous savez qu’il n’est pas dans la coutume du gouvernement anglais d’intervenir dans les affaires des autres états indépendans, et je ne vois pas bien clairement comment mon gouvernement pourrait intervenir utilement pour vous. »

Dans la même lettre, lord Auckland disait : « Il est probable qu’avant peu j’enverrai à votre cour quelqu’un chargé de discuter avec vous des sujets commerciaux dans notre avantage commun. » Ce fut un an après que Burnes arriva à Caboul. Il commença en effet par parler au Dost des affaires commerciales, mais la question politique, alors dans tout son feu, effaça bientôt tout autre sujet. « Je suis engagé, disait Dost-Mohammed, dans une guerre qui nuit beau-

  1. Correspondence relating to Afghanistan, 31 may 1836.