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indépendant, un autre était à Pechawir, sous la dépendance du roi de Lahore, qui avait soumis à un tribut cette ancienne province des Afghans. Pechawir était donc la pomme de discorde entre le chef de Caboul et le chef de Lahore ; mais à l’inimitié politique qui régnait entre eux, se joignait encore une inimitié bien plus irréconciliable, celle des religions. Les Afghans sont mahométans ; les Sikhs forment une secte issue du brahmanisme, et sont, aux yeux des Afghans, des infidèles. Ce qui a soutenu Dost-Mohammed dans la guerre qu’il faisait à Runjeet-Singh, c’est qu’il soulevait les tribus de l’Afghanistan au nom du Coran, et que ces tribus se ralliaient autour de lui comme autour du champion de l’islamisme.

La haine que les mahométans portaient au chef des Sikhs est exprimée de la manière la plus plaisante et la plus curieuse par une anecdote que raconte Burnes. Un envoyé de Kélat était venu pour lui faire visite, et Burnes lui montrait des portraits avec des costumes asiatiques : « Il était si enchanté, dit-il, qu’il en faisait littéralement des sauts de joie. En voyant le portrait de Runjeet-Singh, il s’écria « Comment ! tu es si petit et si aveugle que cela, et tu jettes un pareil trouble dans le monde ? » Et, se tournant vers le portrait d’un homme de Pechawir, il lui dit : « Et toi, misérable, pourquoi n’arraches-tu pas le cœur à ce Sikh ? » Et alors, plaçant les deux portraits en face l’un de l’autre, il reprit : « Regarde ce diminutif d’infidèle, regarde-le bien, tue-le. Ne voudrais-tu pas être aussi près de lui que tu l’es maintenant ? » — Et tout ceci était dit avec une rage qui rendait la scène très amusante et très burlesque. »

Ayant un ennemi plus puissant que lui sur une de ses frontières, Dost-Mohammed devait naturellement avoir pour politique de se chercher des alliés sur son autre frontière, et se tourner vers la Perse ; mais, de ce côté encore, la nationalité et la religion s’opposaient à une alliance sincère et durable entre les deux états. La Perse avait été autrefois maîtresse de l’Afghanistan, et n’avait jamais renoncé à l’espoir de le reconquérir. Cependant comme il y avait, entre le chef de Caboul et le chef de Hérat, inimitié de dynastie, Dost-Mohammed eût pu devenir l’allié du roi de Perse et l’aider à soumettre cette ville célèbre de Hérat, si la diversité des religions n’eût pas mis entre eux un obstacle presque insurmontable. Les Afghans et les Persans sont mahométans, mais de deux sectes différentes ; les premiers sont shiites, les seconds sunnites ; et de même que les Sikhs sont, aux yeux de ces deux peuples, des infidèles, les Persans et les Afghans sont, les uns pour les autres, des hérétiques.