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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

cette pittoresque exclamation échappée à un prince barbare : « Quels hommes étonnans sont ces Feringees ! Il y a trois mois, ils arrivent dans le pays ; maintenant en voilà un à Caboul, un autre à Candahar, un autre ici, et un autre aux sources de l’Oxus. Wullah ! wullah ! ils ne mangent, ni ne boivent, ni ne dorment ; tout le jour ils s’amusent, et toute la nuit ils écrivent des livres ! »

C’était le chef du Koundouz, pays situé au-delà de Caboul vers le nord, qui parlait ainsi au docteur Lord et au lieutenant Wood. Le pays n’était pas facile, son souverain l’était encore moins ; le docteur Lord avait été appelé pour guérir le frère du chef qui perdait la vue. « Le cas est désespéré, écrivait-il à Burnes ; je l’aurais déjà déclaré, si je ne craignais de compromettre Wood ; j’attends qu’il soit de retour pour pouvoir partir avec lui à l’improviste, si cela devient nécessaire. » Le lieutenant Wood était déjà parti pour aller explorer les sources de l’Oxus. Malgré les craintes du docteur, le frère du chef des Koundouz se résigna assez philosophiquement à perdre la vue, et les deux Anglais continuèrent leurs recherches. Le docteur Lord avait espéré retrouver dans le Koundouz les manuscrits de Moorcroft ; mais, sauf quelques volumes imprimés et quelques notes d’un journal de voyages, il ne retrouva rien que la date exacte de la mort de son compatriote, écrite par un de ses compagnons de voyage, et qui était le 27 août 1825.

Burnes avait reçu de son ancienne connaissance Dost-Mohammed l’accueil le plus gracieux ; il lui avait apporté en présent quelques raretés de l’Europe, et l’émir lui avait répondu : « Vous êtes vous-même les raretés dont la vue réjouit mon cœur. » Nous avons donné précédemment[1] une rapide esquisse de la vie de cet homme remarquable, qui, bien que dépossédé aujourd’hui par les Anglais, est peut-être appelé à reparaître bientôt sur la scène. Nous nous bornerons donc à rappeler ici, pour faciliter l’intelligence des négociations que nous allons suivre, quelle était à cette époque la position des principaux personnages de cette partie de l’Asie.

Des souverains légitimes des Afghans, les Suddozis, il ne restait que Kamram, chef de Hérat, sur la frontière de la Perse, et le shah Soudja-Ool-Mook, alors pensionnaire des Anglais à Loudiana, et depuis rétabli par eux sur le trône de Caboul. Dost-Mohammed, émir de Caboul, était le chef de la famille des Barukzis, qui avait expulsé celle des Suddozis. Deux de ses frères tenaient Candahar comme état

  1. Voir la Revue du 1er  avril.