Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1011

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1005
LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

La compagnie des Indes, chose remarquable ! était obligée de faire ses conquêtes en silence ; elle les commettait presque comme des crimes, et les déguisait pour se les faire pardonner. C’est ainsi qu’elle fonda le système des états protégés. Le meilleur historien de l’Inde[1] disait devant la chambre des communes : « Le gouvernement conquérant, sachant bien que la conquête avouée, c’est-à-dire l’adjonction pure et simple du territoire et l’installation du pouvoir militaire, soulèverait en Angleterre une tempête d’indignation, tandis que, si on se bornait à faire la conquête en prenant soin de l’appeler par un faux nom, tout serait bien reçu, inventa l’expédient des alliances de subvention et de protection. Le malheur est que, pour ménager ce genre de préjugés en Angleterre, nous fûmes obligés de maintenir dans ces états tous les vices de la plus détestable administration. »

Ce fut ainsi que la compagnie établit peu à peu son joug sur cent millions d’hommes. L’empire de l’Inde, comprenant 20 degrés de latitude depuis le cap Comorin jusqu’à l’Indus, a été conquis de mémoire d’homme. Une fois lancés sur cette pente rapide, la difficulté pour les Anglais était de s’arrêter et de trouver une frontière. Cette ligne, ce point d’arrêt, se rencontrèrent enfin quand la compagnie eut réuni sous son autorité ou sous sa protection toute l’Inde proprement dite. Cette assimilation était naturelle ; plus encore, elle était inévitable. Les états hindous formaient une unité par la religion, l’origine, le langage ; ils se tenaient par la main, et, à mesure que l’un d’eux tombait dans le gouffre absorbant de la domination anglaise, il entraînait celui qui le touchait. Mais, quand les Anglais furent arrivés jusqu’à l’Indus, l’élan cessa, la continuité fut brisée. Il a été très bien dit[2] : « Les populations au nord de ce fleuve n’ont aucun lien avec celles qui sont au sud. Elles sortent d’une source différente, elles professent des religions différentes, et conversent dans des langues différentes. Les Hindous du sud ont tous les mêmes vues spirituelles et temporelles ; ils ont la face tournée vers le Gange. Les Afghans du nord sont mahométans, et sont tournés vers la Mecque. Ils sont dos à dos, sans aucun élément d’union. »

Eh bien ! c’était à cette limite posée par la nature que l’Angleterre pouvait s’arrêter. Arrivée haletante jusqu’à l’Indus, elle pouvait s’as-

  1. James Mill.
  2. Voir des lettres fort remarquables publiées récemment dans le Times et signées Civis.