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s’affaiblissent par degrés. Un jour, les haillons dont il se débarrassait quand il était seul, restent collés à son corps ; il voulait faire du vice un instrument docile, et c’est le vice qui l’a dompté. Le mépris des hommes et le dégoût de lui-même ont tout ruiné dans son cœur, tout, excepté cependant la pensée qui a été la cause première de ses maux. Aussi il s’attache à son dessein, il s’y cramponne avec une énergie désespérée. Il n’a plus pour cette pensée de meurtre l’amour sacré, le dévouement candide et pur que la débauche a tué dans son ame avec tous les nobles sentimens qu’elle renfermait ; il l’aime d’une passion désordonnée et sauvage comme celle qu’une femme perdue ressent pour l’amant qui l’a avilie. Il en comprend déjà l’horrible néant, l’affreuse vanité, et cependant il lui reste toujours une vague espérance. C’est cette espérance qui se brise violemment alors que la pensée se réalise et que le crime est accompli. Alexandre mort, Laurent de Médicis ne va pas, comme Brutus, montrer dans les rues de la ville son poignard teint de sang : non ; mais il devient plus grand que Brutus, il brise ce poignard et il maudit la main qui s’en est servi. Certes, il y avait là une belle donnée et faite pour satisfaire, je crois, aux exigences les plus sévères de la morale. M. Dumas ne l’a pas traitée ; son Lorenzino conserve jusqu’au bout de la pièce dans leur atroce naïveté ses illusions sur le régicide.

Le héros de M. Dumas a une maîtresse. Dans la tragédie, l’intrigue amoureuse complique souvent l’intérêt, détourne l’attention et excite le blâme sévère des critiques. Eh bien ! cependant, j’avoue que, sur la nécessité de l’élément amoureux dans les compositions théâtrales, je m’associe volontiers aux opinions qu’ont défendues les raffinés du temps de Scudéri et de l’hôtel Rambouillet. Si pâles que soient l’amante d’Hippolyte et celle de Britannicus, je n’aurais pas voulu que Racine eût effacé les tendres couleurs de ces deux portraits. Cette obligation de faire toujours sentir au fond d’une pièce terrible ou légère la présence de la femme et sa continuelle influence sur le cœur, cette obligation est une tradition heureuse, un doux vasselage d’origine lointaine et sacrée dont nos poètes ne doivent pas s’affranchir. Du reste, le rôle de Luizza était nécessaire dans la pièce telle qu’elle est conçue ; tracé comme il l’est, cependant il ne sert qu’à mieux faire comprendre combien la poésie s’est desséchée dans le cœur de M. Dumas, au milieu des arides préoccupations de cent travaux hâtifs. Jadis l’auteur d’Antony et d’Angèle trouvait, pour peindre l’exaltation de la tendresse, une fougue, une ardeur, qui alarmaient même quelquefois les susceptibilités délicates ; mais, s’il y avait dans la passion qu’il faisait parler un peu du rugissement dont les échos de tous les théâtres étaient alors habitués à retentir, on y sentait un enthousiasme réel : il savait nous ouvrir, par instans, toutes les brûlantes perspectives du beau ciel de l’amour. Le rôle de Luizza fait un frappant contraste avec les rôles qu’il traçait alors d’une façon si chaleureuse pour les héroïnes de ses drames. Dans cette pièce, faite avec tant de négligence, c’est le plus négligé de tous. Malgré les exclamations dont il est semé, et dont le parterre a même relevé