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REVUE DES DEUX MONDES.

« Vous voulez tout concentrer et ne pas vous plaindre ; vous avez tort. Ce rôle, qui paraît plus beau, est beaucoup moins sage. La plainte est un soulagement naturel dont il ne faut faire le sacrifice qu’à la grandeur d’ame proprement dite et à la prudence véritable.

« Il n’y a point de cas où l’on ne puisse et où l’on ne doive parler, lorsqu’on a à sa portée, dans le monde, des oreilles discrètes et un silence intelligent. Il faut alors jeter son feu, comme la surabondance d’un élément qui a besoin d’être évacué. On est tout étonné, après cela, de la plénitude de raison ou de santé morale qu’on sent renaître en soi.

« Il est vrai que, pour se permettre ce remède, il faut avoir un confident auquel on soit assuré de ne pas donner son mal. Quand le confident manque, il faut garder le mal, et le digérer par sa propre force, qui est alors employée et consumée par un abus devenu de nécessité.

« Tâchez de faire un meilleur emploi de la vôtre. Cherchez l’écouteur qu’il vous faut, et jetez vos hauts cris. Je ne vous demande point la préférence.

« Adieu ; je m’intéresse encore plus à votre bonheur qu’à vos succès, et plus à votre vie qu’à vos livres. C’est beaucoup dire. Je vous aurais écrit un mot, si j’avais su que vous ne reviendrez pas plus tôt. Je le fais aujourd’hui, afin que vous ne sachiez pas trop tard que les moindres souffrances de votre cœur affligeront toujours le mien.

« Portez-vous bien et fauchez vite. »


Joubert.