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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

Enfin, ou cachez votre nom, ou ne cachez pas votre filiation, à laquelle je tiens beaucoup. En attendant que vous vous soyez mûrement décidée sur cet article, qui est pour moi plus sérieux que vous ne pensez peut-être, nous userons de la suscription ordinaire, avec une extrême impatience de pouvoir en employer une nouvelle, à juste titre et à bon droit.

« Je ne vous parlerai pas aujourd’hui de Victor, ni même de Bonaparte, qui est un inter-roi admirable. Cet homme n’est point parvenu ; il est arrivé à sa place. Je l’aime.

« Sans lui on ne pourrait plus sentir aucun enthousiasme pour quelque chose de vivant et de puissant. Ce jeu de la réalité, placé en son vrai point de vue, et que vous nommez illusion, quand elle nous plaît et nous charme, ne s’opérerait dans notre ame, sans cet homme extraordinaire, en faveur de rien d’agissant. Je lui souhaite perpétuellement toutes les vertus, toutes les ressources, toutes les lumières, toutes les perfections qui lui manquent peut-être, ou qu’il n’a pas eu le temps d’avoir. Il a fait renaître, non-seulement en sa faveur, mais en faveur de tous les autres grands hommes pour lesquels il le ressent aussi, l’enthousiasme qui était perdu, oisif, éteint, anéanti. Ses aventures ont fait taire l’esprit et réveillé l’imagination. L’admiration a reparu et réjoui une terre attristée où ne brillait aucun mérite qui imposât à tous les autres. Qu’il conserve tous ses succès ; qu’il en soit de plus en plus digne ; qu’il demeure maître long-temps. Il l’est certes, et il sait l’être. Nous avions grand besoin de lui. Mais il est jeune, il est mortel, et je méprise toujours infiniment ses associés !

« Je ne vous ai pas encore parlé de ma bonne et pauvre mère. Il faudrait de trop longues lettres pour vous dire tout ce que notre réunion me fait éprouver de triste et de doux. Elle a eu bien des chagrins, et moi-même je lui en ai donné de grands, par ma vie éloignée et philosophique. Que ne puis-je les réparer tous, en lui rendant un fils à qui aucun de ses souvenirs ne peut reprocher du moins de l’avoir trop peu aimée !

Elle m’a nourri de son lait, et « jamais, » me dit-elle souvent, « jamais je ne persistai à pleurer sitôt que j’entendis sa voix. Un seul mot d’elle, une chanson, arrêtaient sur-le-champ mes cris, et tarissaient toutes mes larmes, même la nuit et endormi. » Je rends grace à la nature qui m’avait fait un enfant doux ; mais jugez combien est tendre une mère qui, lorsque son fils est devenu homme, aime à entretenir sa pensée de ces minuties de son berceau.