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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

Il est des esprits meilleurs que d’autres et cependant méconnus, parce qu’il n’y a pas de mesure usitée pour les peser. C’est comme un métal précieux qui n’a pas sa pierre de touche.

Il y a des cerveaux lumineux, des têtes propres à recevoir, à retenir et à transmettre la lumière. Elles rayonnent de toutes parts ; elles éclairent ; mais là se termine leur action. Il est nécessaire de joindre à leur opération celle d’agens secondaires, pour lui donner de l’efficacité : c’est ainsi que le soleil fait éclore, mais ne cultive rien.

La tendance vers le bien, la promptitude à le saisir et la constance à le vouloir ; l’intensité, la souplesse et la fermeté du ressort que cette tendance met en jeu ; la vivacité, la force et la justesse des élans vers le but indiqué, sont les élémens qui, comme autant de caractères, forment, par leurs combinaisons, le taux intrinsèque de l’homme, et déterminent sa valeur.

Chaque esprit a sa lie.

Il y a des hommes qui n’ont tout leur esprit que lorsqu’ils sont de bonne humeur, et d’autres que lorsqu’ils sont tristes.

Le ciel accorde rarement aux mêmes hommes le don de bien penser, de bien dire et de bien agir en toutes choses.

Certains esprits, pour faire éclater leur feu, ont besoin d’être contenus et comme captivés par un sujet fixe et un temps court. Ils éclatent alors et s’élancent par jets, semblables à ces vins qui ne pétillent et ne montrent leur feu que lorsque, renfermés en un petit espace et contenus entre les parois d’une bouteille, leur fermentation se concentre et prend une vivacité que plus de liberté anéantirait.

Qui est-ce qui pense pour le seul plaisir de penser ? Qui est-ce qui examine pour le seul plaisir de savoir ?

Il est des esprits légers ; mais qui n’ont pas de légères opinions ; leurs doctrines et leurs vertus les rendent graves, quand il le faut.

Il y a, au contraire, des esprits sérieux et sombres qui ont des doctrines très futiles, et alors tout est perdu.

Quelque légèreté entre toujours dans les natures excellentes, et, comme elles ont des ailes pour s’élever, elles en ont aussi pour s’égarer.

Ce qu’on appelle légèreté d’esprit n’est quelquefois qu’une appa-