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quaient sans doute de cette imagination puissante qui féconde un sol en apparence épuisé ; égarés par les lois obscures d’une esthétique qui ne s’appuyait ni sur des faits ni sur des œuvres, ils s’occupaient beaucoup trop de théories de l’art pour le bien mettre en pratique. Au lieu d’appliquer les rares facultés dont ils étaient doués à l’étude de la nature, source de toute beauté, de toute grandeur, de toute vérité, ils les dissipaient dans des recherches érudites sur le passé, dans la pénible révélation de génies oubliés ou méconnus, et dans une puérile imitation de leurs œuvres, reflets effacés et périssables de la nature éternelle. Que dans cette imitation ils remontassent à Hemmeling, à Cimabuë et même aux byzantins, qu’ils recherchassent de préférence les procédés des premières époques, quelque nouveaux que ces procédés parussent alors, ils ne renonçaient pas moins pour cela à l’originalité. Ils obéissaient à l’inspiration d’autrui et non à leur inspiration propre, et, si l’on ne pouvait leur refuser le mérite assez contestable de la singularité, on pouvait leur refuser celui de la nouveauté.

La soif de la vérité peut conduire les esprits faibles au mensonge ; par horreur de l’affectation et de l’exagération théâtrale, ces enthousiastes du passé tombèrent dans la naïveté puérile et la simplicité outrée ; s’ils s’affranchirent d’une imitation, ce fut pour se précipiter dans une autre. Ils ne surent pas être de leur siècle, et rétrogradèrent brusquement jusqu’aux premiers temps de l’art, au lieu de prendre leur point de départ de leur époque, et de se mettre en marche vers l’avenir d’un pas assuré.

Le vrai n’est jamais dans les extrêmes. La perfection vers laquelle tout grand artiste doit tendre, ne se trouve pas plus à l’origine de l’art qu’aux époques de décadence. Indépendante des systèmes et des convenances d’école, des doctrines des hommes, des exemples même qu’ils ont pu nous donner, tout excellens qu’ils soient, cette perfection réside dans une certaine façon de voir propre à chaque individu, dans un tact exquis et personnel, dans cette sorte d’accord admirable du tempérament et de la science, de l’imagination et du bon sens, qui constitue l’excellence du goût et le sentiment juste de ce que l’on appelle l’idéal.

Cette haute indépendance nous paraît avoir manqué même aux chefs de la nouvelle école allemande, Frédéric Owerbeck, Philippe Veit et Henry Hess. Nous ne citerons pas Cornélius, plus original, quoique également voué à l’imitation, et qui nous semble devoir