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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

répondre à ceux des fidèles et ultrà qui auraient trouvé à redire ensuite sur l’abbé ligueur : « M. de Tiron a rendu des services. »

Ceci obtenu, Desportes n’eut plus qu’à vieillir riche et honoré. Il traduisit les Psaumes, sans doute pour réparer un peu et satisfaire enfin aux convenances de sa situation ecclésiastique. Le succès, à le bien voir, fut contesté (1603) ; Malherbe lui en dit grossièrement en face ce que Du Perron pensait et disait plus bas. Mais ces sortes de vérités se voilent toujours d’assez d’éloges aux oreilles des vivans puissans, et Desportes put se faire illusion sur sa décadence[1]. Il se continuait avec harmonie par Bertaut ; il rajeunissait surtout avec éclat et bonheur dans son neveu, l’illustre Mathurin Regnier. Tout comblé de biens d’église qu’il était, ayant refusé vers la fin l’archevêché de Bordeaux, il sut encore passer pour modeste, et son épitaphe en l’abbaye de Bonport célébra son désintéressement. C’est dans cette dernière abbaye qu’il coula le plus volontiers ses dernières années, au sein d’une magnifique bibliothèque dont il faisait les honneurs aux curieux avec une obligeance infinie, et qu’après lui son fils naturel laissa presque dilapider : elle ne fut sauvée en partie que par la diligence du Père Sirmond[2]. On parle aussi d’une belle maison de lui à Vanves, où il allait recueillir ses rêves, et dont le poète La Roque a célébré la fontaine. Il mourut à Bonport en octobre 1606, âgé d’environ soixante et un ans. L’Estoile lui a prêté d’être mort assez impénitent et de n’avoir cru au purgatoire non plus que M. de Bourges (Renaud de Beaune) ; on allègue comme preuve qu’il aurait enjoint expressément, à sa fin, de chanter seulement les deux Psaumes : O quam dilecta tabernacula, et Lætatus sum. Peu avant de mourir, il aurait dit en soupirant : « J’ai trente mille livres de rente, et je meurs ! »

Mais tout cela m’a l’air de propos sans conséquence, et tels qu’il en dut circuler : on a prêté à Rabelais le rieur d’être mort en riant ; on a supposé que le riche abbé de Tiron ne pouvait faire autrement que de regretter ses richesses[3].

  1. Ses Psaumes survécurent même, dans la circulation, à ses Premières Œuvres, lesquelles ne passent guère en réimpression l’année 1611. Dom Liron (Bibliothèque chartraine) nous apprend que Thibaut Desportes, sieur de Bevilliers, frère du nôtre, fit faire, en 1624, une très belle édition de ces Psaumes avec des chants de musique.
  2. Voir le Père Jacob, Traité des Bibliothèques.
  3. On cite encore de lui ce mot assez vif et plus vraisemblable, quand il refusa l’archevêché de Bordeaux, ne voulant pas, disait-il, avoir charge d’ames : « — Mais vos moines ? lui répondit-on. — Oh ! bien, eux, ils n’en ont pas. »