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paraît certain, c’est que Desportes aimait en effet très haut, et que son noble courage, comme on disait, aspirait aux plus belles fortunes ; si ses sonnets furent très platoniques, sa pratique passait outre et allait plus effectivement au réel. Un jour qu’il était vieux, Henri IV lui dit en riant devant la princesse de Conti : « Monsieur de Tiron, il faut que vous aimiez ma nièce ; cela vous réchauffera et vous fera faire encore de belles choses. » La princesse répondit assez vivement : « Je n’en serois pas fâchée, il en a aimé de meilleure maison que moi. » Elle faisait allusion à la reine Marguerite, femme d’Henri IV ; on avait jasé d’elle autrefois et du poète.

Desportes ne célébrait pas moins les amours de ses patrons que les siens, et on peut deviner que cela l’avançait encore mieux. On a des stances de lui pour le roi Charles IX à Callirée : était-ce la belle Marie Touchet d’Orléans, la seule maîtresse connue de Charles IX ? Il y a dans la pièce un assez beau portrait de ce jeune et sauvage chasseur, qui eut le malheur de tourner au féroce :

J’ai mille jours entiers, au chaud, à la gelée,
Erré, la trompe au col, par mont et par vallée,
Ardent, impatient ..........

Dans d’autres stances pour le duc d’Anjou allant assiéger La Rochelle (1572), on entend des accens plus doux ; le guerrier élégiaque se lamente pour la demoiselle de Chateauneuf, la plus belle blonde de la cour, qu’il laissa bientôt pour la princesse de Condé, et à laquelle il revint après la mort de celle-ci. Le ton est tout différent pour les deux frères ; Charles IX résistait et se cabrait contre l’amour ; le duc d’Anjou y cède et s’y abandonne languissamment.

La pièce qui suit, ou Complainte pour M. le duc d’Anjou élu roi de Pologne (1573), et l’autre Complainte pour le même étant en Pologne (1574), regardent la princesse de Condé[1], à ce que Du Radier assure. Nous assistons aux moyens et aux progrès de la faveur de Desportes. Il accompagna le prince dans son royaume lointain, et, après neuf mois de séjour maudit, il quitta cette contrée pour lui trop barbare avec un Adieu de colère. Dans le siècle suivant, Marie de Gonzague appelait à elle en Pologne le poète Saint-Amant, qui ne s’y tint pas davantage. Bernardin de Saint-Pierre, plus tard, a réparé ces injures, et, tout comblé d’une faveur charmante, il a laissé à ces forêts du Nord des adieux attendris.

  1. Marie de Clèves, fille du duc de Nevers, morte en couches le 30 octobre 1574.