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m’avoir jamais rencontré. L’état magnétique développe dans l’être intérieur la force de rimer[1], de voir et de guérir.

« Long-temps avant qu’on l’eût amenée ici, la terre avec ses habitans n’était déjà plus rien pour elle. Pauvre femme ! il lui fallait ce que nul mortel ne pouvait lui donner, d’autres cieux, une autre atmosphère, d’autres substances ; elle appartenait à un monde invisible elle-même à moitié esprit, elle appartenait à cet état qui succède à la mort et qui dès ce monde était le sien.

« Si l’affection eût été prise à temps, peut-être aurait-on pu rendre cette malheureuse créature aux conditions de la vie humaine ; mais, lorsqu’elle me tomba dans les mains, cinq ans avaient déjà passé sur son organisation maladive et brisée, cinq ans d’épreuves douloureuses, d’émotions incessantes, d’ébranlemens surnaturels, et la vie magnétique avait pris son pli Cependant, à force de soins assidus et de ménagemens, j’étais parvenu à ramener au plus haut degré, dans son être intérieur, l’harmonie et la lucidité. Elle vécut à Weinsberg, ainsi qu’elle avait coutume de le dire, les jours les plus heureux de sa vie spirituelle, et la trace lumineuse de son apparition parmi nous ne s’effacera jamais.

« Son corps n’était guère pour elle qu’un voile transparent jeté autour de son esprit. Elle était petite, elle avait les traits du visage orientaux, et ses yeux, à travers de longs cils épais et noirs, dardaient le regard perçant des visionnaires. Fleur du soleil qui ne vivait que de rayons !

« Frédérique avait dans le monde invisible un gardien mystérieux, chose du reste assez commune à tous les somnambules ainsi qu’aux êtres qui vivent beaucoup de la vie intérieure. Socrate, Plotin, Hiéron, Cardan, Paracelse et tant d’autres dont le nom m’échappe, entretenaient commerce avec un esprit familier. « On en viendra un jour à démontrer, dit Kant dans ses Rêves d’un Visionnaire, que l’ame humaine vit, dès cette existence, en une communauté étroite, indissoluble, avec les natures immatérielles du monde des esprits, que ce monde agit sur le nôtre et lui communique des impressions profondes dont l’homme n’a point conscience aussi long-temps que tout va bien chez lui. » J’avais dans ma maison une servante auprès de laquelle Frédérique voyait toujours flotter le spectre lumineux d’un enfant de douze ans environ ; j’interrogeai cette fille pour savoir si elle avait jamais eu quelqu’un de cet âge dans sa parenté, elle me répondit que non, et quelques jours après m’avoua qu’en y réfléchissant, elle s’était souvenue d’un petit frère mort à trois ans et qui tout juste en aurait eu douze alors.

Plus loin, dans le second volume, la visionnaire de Kerner explique ainsi cette singulière croissance d’outre-tombe :

  1. Rimer dans le sens de dichten, avec plus d’extension créatrice que notre