Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/876

Cette page a été validée par deux contributeurs.
866
REVUE DES DEUX MONDES.

déserte, et l’on n’entend plus que le chuchottement des amoureux sous la porte des maisons et le murmure du puits.

« Je m’acheminai vers la cathédrale gothique, sépulcre immense que la lune n’éclairait pas encore. De longs soupirs s’exhalaient de son sein, les pulsations de l’horloge, et de plus en plus autour d’elle s’étendaient l’épouvante et la solennité des ténèbres et du silence. Tout à coup une voix sourde et caverneuse sortit comme des profondeurs du sanctuaire, et se mit à chanter ; c’était l’esprit de l’église. »

L’esprit de la cathédrale se lamente et gémit sur l’indifférence et le froid scepticisme des générations nouvelles.

« Malheur à la race contemporaine, race énervée et bâtarde ! Dans les soupirs et les sanglots, que de milliers d’heures n’ai-je pas attendu ! Hélas ! attachée au cercueil, nulle main ne se lèvera pour ma délivrance.

« Ceux qui pour moi ont souffert la mort, l’infamie et la torture, gisent autour de moi dans leurs fosses. Alerte donc, esprits qui flottez dans les airs ; debout, vous qui dormez sous la pierre du sépulcre ! Venez tous errer aux clartés des étoiles, dans mes vastes salles désertes ; venez, que les chants sacrés retentissent encore sous mes voûtes ! »

Dans cette plainte de la cathédrale éplorée est le point de vue sérieux du livre. Abordons maintenant le côté comique ; aussi bien il ne tarde guère à nous apparaître et se laisse surprendre sitôt que notre voyageur met le pied dans le coche, grace à l’étrange compagnie qui s’y rencontre. C’est d’abord le poète Holder avec ses extravagances par moment sillonnées d’un éclair de génie, maniaque dont le type existe aussi parmi nous, et qui représente, dans l’idée de l’auteur, le romantisme bizarre, désordonné, tel que tant de gens s’obstinent encore à le vouloir comprendre. Un chimiste, à force d’entendre notre poète discourir, finit par déclarer que sa folie provient d’un excès d’oxigène amassé dans son ame. Sur quoi le pasteur s’effarouche, trouvant l’opinion singulièrement matérialiste, et travaille à ramener, par l’exposition de doctrines plus saines, cette noble intelligence aliénée. Le pasteur, ainsi qu’un menuisier qui fait partie de la caravane, appartient à la rédaction d’une revue anti-romantique. Les têtes s’échauffent ; entre le poète Holder et le chimiste d’une part, le pasteur et le menuisier de l’autre, l’orage menace d’éclater, lorsque le poète antiquaire Haselhuhn s’avise par bonheur d’intervenir.

Si, au dire de Kerner lui-même, ce petit livre n’est partout qu’allusions, si les types ont vécu et vivent encore, de ces silhouettes qui