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commerce élevait de toutes parts. Les journaux de Canton de la fin de mars et du commencement d’avril sont remplis de longs articles discutant de nouveau le pour et le contre de la question ; mais les argumens en faveur du paiement des traites de M. Elliot sont bien autrement violens que lorsqu’il s’agissait de revendiquer un droit qui n’était pas encore contesté.

Je vous fais grace, monsieur, des nombreux édits qui furent publiés par les autorités chinoises de Canton et de Macao pendant les mois d’avril et de mai ; ils se ressemblent tous ; ce sont toujours pour ainsi dire les mêmes phrases, pleines d’une absurde vanité et renfermant cependant quelque peu de bon sens noyé dans une multitude de mots. Les agens chinois se réfèrent à des mesures de police par terre et par eau, à des concessions en faveur du commerce de Macao, à des précautions à prendre contre le commerce clandestin des Anglais. Puis viennent des bravades, des mémoires pour la suppression de l’opium. Pendant ces deux mois, il ne se passa aucun évènement digne de remarque. Les colonnes des journaux de Canton sont à cette époque remplies par des discussions d’éditeurs, par des réflexions sur les articles des journaux anglais ; c’est le calme qui précède la tempête.

On reçut alors la nouvelle qu’une expédition anglaise allait arriver de Calcutta et de Bombay sur la côte de Chine, qui serait indubitablement bloquée. Le consul des États-Unis crut devoir prendre ses mesures avant même que cette nouvelle devînt officielle. Il adressa une requête au vice-roi de Canton pour le prier, vu le blocus imminent de la rivière de Canton par les forces anglaises, de permettre que les délais qui accompagnaient ordinairement la permission de conduire les navires à Whampoa fussent abrégés, et qu’ils pussent y aller directement. La réponse de Lin caractérise admirablement l’orgueil chinois. En lisant la requête, il était aisé de deviner le parti que prendrait cet agent. Lin refusa d’accéder à la requête du consul d’Amérique, et il appuya son refus sur la connaissance qu’il avait des transactions clandestines auxquelles les navires américains étaient employés en servant d’intermédiaires aux négocians anglais. « Il faut donc, dit-il, prendre tout le temps nécessaire pour distinguer les bons des mauvais. » Puis il ajoute : « Mais, dans cette pétition, il est faussement dit que, vers le 1er  du mois de juin, les Anglais bloqueront ce fleuve et qu’ils ne permettront aux navires d’aucune nation de venir faire le commerce en Chine. En vérité, cette assertion a de l’analogie avec un odieux mensonge ; c’est au moins une excessive erreur. Songez que les ports et les hâvres sont les ports et les hâvres de la céleste dynastie. Comment l’Angleterre peut-elle vous bloquer, vous Américains ? L’Amérique n’est pas une nation tributaire de l’Angleterre. Comment donc pouvez-vous obéir à ces barbares, s’ils vous défendent, comme vous le dites, de conduire vos navires ici ? » On voit que Lin discutait à sa manière cette question si ardue du blocus, question où, on peut le dire, les droits des neutres sont encore complètement indéfinis. Lin ne concevait pas qu’une nation qui n’était pas en guerre avec la Chine pût obéir à une autre nation, et perdre, par cette obéissance, les profits qu’elle obtenait grace à son com-