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Le 24 mars, M. Elliot, apprenant le danger qui menaçait ses compatriotes, vint de Macao à Canton, poursuivi jusqu’au seuil du consulat anglais par les bateaux du gouvernement chinois. Le pavillon britannique fut immédiatement arboré, et les étrangers se réunirent de nouveau dans la salle du consulat d’Angleterre. Là, M. Elliot énuméra les diverses raisons par lesquelles il cessait d’avoir confiance dans la justice et la modération du gouvernement chinois. Ces raisons étaient évidentes depuis long-temps. L’exécution d’un vendeur d’opium devant les factoreries avait été un avertissement assez direct. Les nouvelles mesures et les menaces de Lin devaient suffire d’ailleurs pour asseoir les convictions de tous à cet égard. M. Elliot termina son allocution en suppliant les étrangers, de quelque nation qu’ils fussent, de se considérer comme ne formant plus qu’une seule famille. Il leur dit que désormais ils ne devaient plus avoir qu’une seule volonté, celle de résister avec modération et sagesse aux mesures d’intimidation par lesquelles le commissaire impérial voulait les obliger à faire des concessions inadmissibles.

Le soir du même jour, les domestiques chinois reçurent l’ordre de quitter les factoreries, et il fut défendu aux habitans de vendre des provisions aux étrangers, de quelque nature qu’elles fussent. Les hommes de peine des divers hongs (magasins chinois), armés de boucliers, d’épées, de lances et de massues, et un détachement de troupes occupèrent la place devant les factoreries. Une ligne formidable de bateaux s’amarra le long du quai.

Le 25 et le 26, les Chinois s’emparèrent de toutes les embarcations étrangères et les traînèrent jusqu’au milieu de la place. Le commissaire Lin prenait ses mesures en homme qui ne veut pas laisser échapper sa proie. Les étrangers (et, avec eux, le surintendant anglais et le consul américain) furent dès-lors prisonniers à Canton. Les mesures adoptées par Lin étant considérées aujourd’hui comme le principal motif de la guerre, il est nécessaire que j’entre à ce sujet dans quelques détails.

Lin publia, le 26 mars, une curieuse proclamation pour recommander aux étrangers la livraison de l’opium. Cette proclamation est divisée en quatre points, dont chacun est traité très longuement

« 1o Vous devez vous hâter de livrer l’opium, en vertu de la raison que le ciel a donnée à chacun de nous.

« 2o Vous devez livrer l’opium immédiatement, en vertu de l’obéissance que vous devez aux lois du pays.

« 3o Vous devez livrer l’opium immédiatement, en vertu de vos sentimens comme hommes.

« 4o Vous devez livrer l’opium immédiatement, parce que vous ne pouvez faire autrement. »

Le 27 mars au matin parut une circulaire de M. Elliot aux sujets anglais résidant ou plutôt emprisonnés à Canton. Les journées précédentes avaient porté conseil ; on sentait que l’obéissance était devenue une nécessité. Cette circulaire étant la pièce principale à l’appui des réclamations des négocians