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LETTRES DE CHINE.

mation, Lin fait une pompeuse énumération des faveurs prodiguées par la céleste dynastie aux étrangers ; il leur reproche leur ingratitude, il annonce qu’il est revêtu de pouvoirs irresponsables. « Mais, dit-il, je me rappelle que vous êtes des hommes venus de contrées lointaines, et que jusqu’à présent vous n’avez pas connu toute la sévérité de nos lois. Aujourd’hui je vous les explique clairement, ne voulant pas vous égorger sans vous avoir préalablement bien et dûment avertis. » Il somme alors les étrangers de délivrer aux officiers du gouvernement tout l’opium qu’ils ont en leur possession : on n’en doit pas soustraire un seul atome. Ensuite, les étrangers devront signer un document par lequel ils s’obligeront à défendre à leurs navires d’apporter de l’opium en Chine, sous peine de voir tout leur chargement confisqué et l’équipage mis à mort. « Mais, ajoute Lin, si vous ne vous corrigez pas, et si vous ne vous repentez pas, si le gain continue à être votre seul objet, alors ce n’est pas seulement par la majestueuse présence de nos troupes et de nos immenses forces de terre et d’eau que nous pourrons vous faire disparaître de la surface de la terre ; nous n’aurons qu’à dire au bas peuple de se lever, et le bas peuple suffira pour vous exterminer. »

C’était là, il faut l’avouer, une menace atroce et dont on chercherait en vain un exemple dans les annales des nations civilisées ; mais nous sommes en Chine, dans un pays dont toutes les idées sont opposées aux nôtres. Ne croyez pas, d’ailleurs, que l’intention de Lin fût de pousser les choses jusqu’à une aussi cruelle extrémité.

Toujours est-il que la proclamation du commissaire impérial produisit l’effet qu’il en attendait. De fréquentes réunions d’étrangers eurent lieu ; on y discuta le pour et le contre sur la livraison de l’opium avec toute l’attention que méritait un sujet si important.

Le 19 mars parut un édit du hoppo (directeur de la douane) défendant aux étrangers de quitter Canton pour descendre à Macao pendant le séjour du commissaire impérial à Canton, et jusqu’à ce que l’affaire de l’opium fût terminée. Lin voulait ainsi retenir tous les étrangers sous le coup de sa menace ; il craignait qu’ils n’abandonnassent leurs propriétés de Canton entre ses mains pour sauver leur opium, dont il savait que la plus grande partie était à bord des navires entreposeurs mouillés à Lintin.

Les négociations qui précédèrent la livraison de l’opium durèrent plusieurs jours, pendant lesquels on vit se succéder de nombreux incidens. Howqua, le chef des hanistes, et un autre de ses confrères se présentèrent devant la chambre de commerce une chaîne au cou, et annonçant que, si l’opium n’était pas livré le lendemain matin, ils seraient décapités sans miséricorde. En même temps, un officier du commissaire impérial vint signifier à M. L. Dent, un des principaux et des plus honorables négocians anglais, l’ordre de paraître devant son excellence. M. Dent, après avoir pris l’opinion des autorités étrangères et de ses compatriotes, dut trouver plus d’un motif à faire valoir pour ne pas se rendre à l’injonction du commissaire impérial.