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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

deux sauvages se sont rencontrés, qu’ils se sont reconnus à la seconde entrevue et ont eu le désir de rapprocher leurs demeures. Je pense qu’effectivement ils se sont rapprochés, et que dans cet instant est née la peuplade naturelle. Je pense que cette peuplade a vécu heureuse parce qu’elle a eu une nourriture abondante, un abri contre les saisons, et parce qu’elle a joui de la raison et des sentimens naturels. Je pense que la terre a été un grand nombre de siècles partagée ainsi en peuplades éloignées, ennemies, peu nombreuses, et qu’enfin les peuplades s’étant multipliées, elles ont dû avoir des relations entre elles. Dès-lors la terre n’a pu les nourrir sans culture ; la propriété, les relations suivies sont nées, bientôt les gouvernemens ; il y a eu des échanges. .................. l’amour-propre, le penchant impétueux, l’orgueil. Il y a eu des ambitieux au teint pâle qui se sont emparés des affaires… Ma thèse n’est pas celle de constater cette série d’états par où ont passé les hommes avant d’arriver à l’état social, mais seulement de démontrer, qu’ils n’ont jamais pu vivre errans, sans domicile, sans liaisons, sans autres besoins que ceux qu’éprouvaient le mâle et la femelle s’unissant furtivement selon la rencontre, l’occasion et le désir. Pourquoi suppose-t-on que dans l’état de nature l’homme ait mangé ? C’est que l’on n’a pas d’exemples d’hommes qui aient existé autrement. Par une raison semblable, je pense que l’homme a eu, dans l’état de nature, la même faculté de sentir et de raisonner qu’il a actuellement. Il a dû en faire usage, car il n’y a point d’exemple que des hommes aient existé sans usager ces deux facultés. Sentir, c’est le besoin du cœur, comme manger est celui du corps. Sentir, c’est s’attacher, c’est aimer ; l’homme, dut connaître la pitié, l’amitié et l’amour ; dès-lors la reconnaissance, la vénération, le respect. S’il en eût été autrement, il serait vrai de dire que le sentiment et la raison ne sont pas inhérens à l’homme, mais seulement des fruits de la société ; il n’y aurait alors point de sentimens et de raisons naturels, point de devoirs, point de vertu, point de conscience. Point de vertu ! Ce ne sera pas le citoyen de Genève qui nous dira ceci. »


Dans cette réfutation, qui est incomplète à d’autres égards, le vice fondamental du système de Rousseau est mis à nu avec beaucoup de sens et de logique. Il fallait être Napoléon pour repousser si