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larité bien remarquable, le nom de Plutarque, qui a été le précepteur de tant d’hommes illustres, et qu’on a dit si souvent avoir été la lecture favorite de Napoléon, ne se trouve pas une seule fois dans ces notes. L’histoire de la Chine, celle des Indes et des Arabes l’occupent ensuite. Il lit l’histoire d’Angleterre et celle d’Allemagne ; enfin il s’applique à l’histoire de France, d’abord d’une manière générale, et puis dans tous les détails. Il veut connaître les ressources, les revenus, la législation de la France ; il étudie soigneusement les libertés de l’église gallicane. Il veut savoir l’histoire de la Sorbonne et de la bulle Unigenitus, et les trois cahiers qu’il a écrits sur cette matière, ainsi que les notes qu’il rédigea à dix-huit ans sur la religion de l’état, font pressentir le concordat et l’expliquent. Il n’a aucun système en histoire, il cherche surtout à connaître les faits ; mais ses études le portent bientôt vers les sciences morales. Il s’occupe d’économie politique et de législation : il lit les écrits de Filangieri, de Mably, de Necker, de Smith ; il en fait des extraits souvent interrompus par des réflexions critiques. L’indépendance de son caractère se montre là comme partout ailleurs. À cet égard, il suffira de citer un seul exemple. On sait combien il est difficile, surtout dans la jeunesse, de se soustraire à l’ascendant irrésistible de Rousseau. Cette difficulté était bien autrement grande aux approches de la révolution. Eh bien ! malgré cet empire, malgré la conformité des opinions et son admiration pour le citoyen de Genève, Napoléon était loin d’accepter toutes ses doctrines. Dans un extrait (daté de Valence, août 1791) du Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité de l’homme, le jeune Napoléon a écrit à la fin de chaque paragraphe : Je ne crois pas cela !… Je ne crois rien de tout cela ! On s’imagine le voir encore au moment où, bondissant d’impatience, il traçait ces mots. Enfin, ne pouvant plus supporter les magnifiques sophismes de Rousseau, il exprime ainsi à son tour ses opinions :


« Mes réflexions sur l’état de nature.

« Je pense que l’homme n’a jamais été errant, isolé, sans liaisons, sans éprouver le besoin de vivre avec ses semblables. Je crois au contraire que, sorti de l’enfance, l’homme a senti le besoin de se trouver avec d’autres hommes, qu’il s’est uni à une femme, a choisi une caverne qui a dû être son magasin, le centre de ses courses, son refuge dans la tempête et pendant la nuit. Cette union s’est fortifiée par l’habitude et par les liens des enfans ; elle a pu cependant être rompue par le caprice. Je pense que dans leurs courses