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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

abandon, cette exaltation, c’est de l’amour, et du plus vif ; seulement le mot n’est pas prononcé. Cette lettre, qui, par son étendue, devient presque une dissertation, est une pièce des plus intéressantes : elle montre clairement quel était l’amour que Napoléon proscrivait.

On ne saurait donner ici une analyse complète de toutes les pièces que le premier consul avait remises au cardinal Fesch. Nous avons déjà dit qu’il y a là trente-huit cahiers écrits entièrement de la main de Napoléon. Quelques ouvrages, rédigés séparément, sont prêts à être livrés à l’impression, tels, par exemple, qu’un Mémoire sur la manière de disposer les pièces de canon pour le jet des bombes, le roman sur la Corse dont nous avons parlé, son Essai sur l’Histoire de Corse, qui a quatre-vingts pages, etc. Mais, dans le plus grand nombre de ces cahiers, tout est mêlé : à la suite d’un extrait d’Hérodote ou de Platon, on trouve des souvenirs de jeunesse ou des réflexions sur la religion. L’ordre cependant s’établit par les dates, car, comme nous l’avons dit, le plus souvent Napoléon avait soin d’indiquer à la marge l’année, le mois, le jour et même l’heure. On peut ainsi, jour par jour, assister au développement de ce caractère extraordinaire, depuis le 26 avril 1786, date de la plus ancienne note, jusqu’au 14 mars 1793, qui est celle de la dernière pièce. On le suit partout, à Auxonne, à Seurres, à Valence, à Ajaccio, à Paris[1], dans ses courses, dans les villes de garnison où il s’arrête. Ce sont là des confessions d’autant plus précieuses que rien n’y annonce le travail, et qu’il n’y a pas le moindre indice de publication future. On y suit, dans sa candeur primitive, l’ame d’un homme qui se parle à lui-même, et qui ne pose pas encore devant l’Europe. Ce n’est pas une des moindres singularités de Napoléon que d’avoir voulu déposer en des mains sûres ces papiers : tout autre, dans sa position, les aurait probablement détruits.

Le choix des ouvrages qu’il a lus et dont il a fait des extraits mérite d’être remarqué. D’abord, c’est une curiosité inquiète qui se porte vers tous les objets sans but déterminé. Il lit Buffon, il s’occupe d’histoire naturelle, de physique, de médecine. Il étudie la géographie, il cherche à cultiver son esprit, à acquérir des connaissances. L’histoire ancienne et celle de la Grèce surtout l’occupent ensuite : il cite Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile ; mais, par une singu-

  1. Pour donner une idée des détails biographiques dans lesquels entre Napoléon, nous dirons que parfois on trouve dans ces papiers même son adresse. Ainsi on y voit que, le 22 novembre 1787, il logeait à l’hôtel de Cherbourg, rue du Four-Saint-Honoré, à Paris.