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sement de sa patrie qu’il déplore, c’est là ce qui le porte au suicide. C’est la mort de Caton qu’il rêve et non pas celle de Chatterton.

Un des morceaux les plus curieux qui soient sortis de la plume de Napoléon, c’est un Dialogue sur l’amour, où l’auteur ne se montre pas très galant. En général, le futur empereur était peu sentimental. Ce qui dominait chez lui, c’était la force et la raison. Dans des fragmens de mémoires, il nous a conservé à la vérité le souvenir de quelques petites aventures de jeunesse ; mais cela est bien fugitif, et il n’y a pas là de sentiment. Ce dialogue a pour objet de proscrire absolument l’amour. On y voit déjà l’aversion de l’empereur pour les définitions métaphysiques. Voici le commencement de cet écrit :

« D. Comment, monsieur ! qu’est-ce que l’amour ? Eh quoi ! n’êtes-vous donc pas comme les autres hommes ?

« B. Je ne vous demande pas la définition de l’amour ; je fus jadis amoureux, et il m’en est resté assez de souvenir pour que je n’aie pas besoin de ces définitions métaphysiques qui ne font jamais qu’embrouiller les choses. Je fais plus que de nier son existence, je le crois nuisible à la société, au bonheur individuel des hommes ; enfin je crois que l’amour fait plus de mal que de bien, et que ce serait un bienfait d’une divinité protectrice, que de nous en défaire et d’en délivrer les hommes. »

C’est surtout l’amour efféminé que Napoléon poursuit dans son dialogue. Il le considère en législateur, et il craint ce qui peut énerver les hommes ; quant à l’amour qui exalte et qui ennoblit, c’est autre chose. En effet, en dépit de l’arrêt sévère que nous venons de citer, nous trouvons dans ses manuscrits le brouillon d’une lettre écrite par Napoléon à une demoiselle qu’il ne nomme pas, mais qui certainement avait frappé son cœur. Cette longue lettre, qui a sept énormes pages, a pour objet de prouver que l’amour de la gloire ne suffit pas pour enfanter les grands hommes, et que la plus sublime des passions, c’est l’amour de la patrie. Napoléon y parle de Léonidas, de Brutus, de Charlemagne, de la grandeur des anciens, de l’affaiblissement de tous les sentimens chez les modernes. Il s’arrête surtout avec complaisance sur les héros de la Corse. Dans cet écrit, où l’on peut reprendre beaucoup d’incorrections et de défauts qu’il serait facile de faire disparaître, Napoléon, inspiré par les plus nobles sentimens, déploie souvent une véritable éloquence. C’est un volcan qui vomit à la fois des flammes et de la fumée. Son ame déborde : il ne parle que de gloire, de grandeur, de vertu. On n’écrit comme cela, on n’ouvre son cœur sans réserve qu’à la femme que l’on aime. Cet