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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

que Napoléon, qui était à Auxonne, pensait de l’autorité royale le 23 octobre 1788.

« Dissertation sur l’autorité royale. — Cet ouvrage commencera par des idées générales sur l’origine et l’accroissement que prit, dans l’esprit des hommes, le nom de roi. Le gouvernement militaire lui est favorable. Cet ouvrage entrera ensuite dans les détails de l’autorité usurpée dont les rois jouissent dans les douze royaumes de l’Europe. Il n’y a que fort peu de rois qui n’eussent mérité d’être détrônés. »

Ce qui donne un grand intérêt à ces manuscrits, c’est que nous y voyons à nu le cœur de Napoléon, qui fixait sur le papier toutes ses impressions. Rencontrait-il une femme dont la figure le frappait ? il s’empressait, en rentrant, d’écrire ce qu’ils s’étaient dit, en ayant soin de marquer le jour et l’heure. Taciturne avec ses camarades, il avait besoin d’épancher son cœur dans la solitude ; son humeur était sombre, et l’on ne doit pas s’en étonner, car, dans une espèce de notice biographique et chronologique sur sa propre jeunesse, que nous avons déjà citée, il raconte qu’ayant quitté à neuf ans la maison paternelle, il était resté jusqu’à l’âge de dix-sept ans sans rentrer en Corse. Cet isolement, qui sans doute fortifia son caractère, dut contribuer à l’aigrir : aussi le voyons-nous à dix-sept ans être déjà las de la vie et vouloir se suicider. Se sentait-il à l’étroit en France à une époque où il ne suffisait pas d’avoir du mérite pour s’élever ? Le dégoût de la vie lui venait-il, comme il le dit lui-même, du spectacle d’une société dégradée et des malheurs de la Corse ? Il est probable que c’étaient toutes ces causes réunies qui lui avaient donné l’idée de ce funeste projet. Quoi qu’il en soit, c’est là un fait digne d’être noté ; et l’on ne saurait s’empêcher de remarquer que le 3 mai, jour où Napoléon disait que ses idées étaient tournées du côté de la mort, il devait, trente-cinq ans plus tard, entrer en agonie à Sainte-Hélène. Voici ce que nous trouvons à l’égard de ce projet de suicide dans une note autographe de Napoléon :


« Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd’hui ? Du côté de la mort. Dans l’aurore de mes jours, je puis encore espérer de vivre long-temps. Je suis absent depuis six ou sept ans de ma patrie. Quel plaisir ne goûterai-je pas à revoir, dans quatre mois, et mes compatriotes et mes parens ? Des tendres sensations que me fait éprouver le