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« Il espérait plus que jamais dans le délire des peuples qu’il avait exaltés, lorsque la perte d’une bataille vint ruiner ses affaires, diminuer ses partisans et affaiblir leur croyance : il est assiégé, sa garnison est peu nombreuse. Hakem, il faut périr, ou tes ennemis vont s’emparer de ta personne ! Il assemble ses sectateurs et leur dit : Fidèles, vous que Dieu et Mahomet ont choisis pour restaurer l’empire et regarder notre nature, pourquoi le nombre de vos ennemis vous décourage-t-il ? Écoutez : La nuit dernière, comme vous étiez tous plongés dans le sommeil, je me suis prosterné et ai dit à Dieu : Mon père, tu m’as protégé pendant tant d’années ; moi ou les miens t’aurions-nous offensé, puisque tu nous abandonnes ? Un moment après, j’ai entendu une voix qui me disait : Hakem, ceux seuls qui ne t’ont pas abandonné sont tes vrais amis et seuls sont élus. Ils partageront avec toi les richesses de tes superbes ennemis. Attends la nouvelle lune, fais creuser de larges fossés, et tes ennemis viendront s’y précipiter comme des mouches étourdies par la fumée. Les fossés sont bientôt creusés, l’on en remplit un de chaux, l’on pose des cuves pleines de liqueurs spiritueuses sur le bord.

« Tout cela fait, l’on sert un repas en commun, l’on boit du même vin, et tous meurent avec les mêmes symptômes. Hakem traîne leurs corps dans la chaux qui les consume, met le feu aux liqueurs et s’y précipite. Le lendemain, les troupes du calife veulent avancer, mais s’arrêtent en voyant les portes ouvertes ; l’on entre avec précaution et l’on ne trouve qu’une femme, maîtresse d’Hakem, qui lui a survécu. Telle fut la fin de Hakem, surnommé Burkaï, que ses sectateurs croient avoir été enlevé au ciel avec les siens.

« Cet exemple est incroyable. Jusqu’où peut porter la fureur de l’illustration ! »


Hélas ! Napoléon oublia trop tôt la sentence qui termine ce petit conte ; que de regrets ne se serait-il pas épargnés, s’il s’était toujours mis en garde contre la fureur de l’illustration ! Des discours aux sociétés populaires et aux représentans du peuple, un projet de constitution pour la Calotte (qui était une espèce de société secrète dans l’armée), des notes politiques de toute espèce, se trouvent dans ces papiers. Napoléon se montre là républicain ardent et passionné : « On injurie les républicains (s’écrie-t-il dans un de ces discours), on les calomnie, et puis, pour toute réponse, on dit que la république est impossible en France ! » Plus loin, on lit le projet d’un ouvrage sur la royauté. On ne sera pas fâché de voir ce