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Il paraît qu’il s’attacha à son élève, et qu’il conserva pendant plusieurs années des relations avec lui. Ce bon père, qui s’était retiré à Laon, donnait dans ses lettres d’excellens conseils à Napoléon et réprimait ses écarts. Il ne laissait rien échapper ; les pensées, le style, la grammaire et jusqu’à l’orthographe, étaient l’objet de ses observations, qui (on le voit par cette correspondance) n’étaient pas toujours reçues avec docilité. Il résulte de ces lettres qu’en 1789 Napoléon avait rédigé un mémoire anonyme sur la Corse, qu’il voulait adresser à Necker, alors rentré au ministère. Cet écrit fut envoyé au père Dupuy, qui en corrigea différentes parties avec sévérité. Afin que l’on ait une idée de la liberté qui présidait à cette correspondance, nous allons citer le commencement de la lettre que Dupuy écrivit à ce sujet à Napoléon

« Laon, le 15 de juillet 1789.
« Mon cher ami,

« J’ai reçu le 10 de ce mois le paquet que vous m’avez adressé. J’ai lu et relu avec attention l’écrit qu’il contenoit : j’en ai trouvé le fond excellent ; mais il y a plusieurs mots impropres, mal assortis, répétés près l’un de l’autre, ou dissonnans, des réflexions qui me paraissent inutiles, ou trop hardies, ou capables d’arrêter la narration et de la faire languir ; des retranchemens, des additions et quelques changemens à faire dans certains endroits. Vous en aurez aisément des exemples dans les observations suivantes. »

Malgré les cinq pages de remarques du père Dupuy, Napoléon ne se tint pas pour battu, et il dut répondre vivement. C’est ce qui résulte d’une seconde lettre écrite par Dupuy le 1er août 1789, et qui commence ainsi :

« Pour me rendre à votre désir, je vais, mon cher ami, vous communiquer quelques observations sur votre dernière lettre. Vous me dites que j’ai ôté tout le métaphysique… »

Il paraît que, dans la lettre que Napoléon voulait adresser à Necker, et qui ne semble avoir jamais vu le jour, l’auteur, caché sous le voile de l’anonyme, mettait dans la bouche d’un vieillard le récit le plus animé et le plus énergique des malheurs de la Corse. Rien n’est plus comique que la frayeur dont fut saisi le père Dupuy en lisant ces passages, qu’il voulait retrancher, et auxquels Buonaparte tenait beaucoup :

« Je vous ai conseillé (lui écrivait le bon minime) de supprimer les rois régnèrent… fiers tyrans de la terre… Vous voulez que je le