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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

ne doit pas s’écrire dans la jeunesse ; il lui conseille de s’y préparer par de fortes études, en assemblant les documens originaux, et de profiter des conseils que lui donnera l’abbé Raynal. La fin de cette lettre est surtout remarquable par sa noble simplicité :

« Je n’ai aucun mérite (écrit Paoli à Napoléon) dans mon désintéressement ; je savais que les sommes que je dépensais pour ma patrie, que l’argent que je refusais, étaient mieux employés pour ma réputation, que si je m’en étais servi pour bâtir des maisons ou pour augmenter mon petit patrimoine. Je suis content, car je n’ai pas de reproches à me faire. Dans peu d’années l’envie, et la malveillance cesseront de s’agiter contre moi, et mes amis me verront à l’abri des évènemens. Bientôt je devrai m’écrier : Que n’ai-je été moins connu aux autres et plus connu à moi-même ! Probè diu viximus ! Je désire que nos descendans se conduisent de manière qu’on ne parle plus de moi que comme d’un homme qui a eu seulement de bonnes intentions. »

On a souvent accusé Napoléon de soumettre toutes ses actions au calcul, de n’obéir qu’à l’intérêt personnel. Une démarche courageuse qu’il fit en faveur de Paoli, et qui a toujours été ignorée, prouve la fausseté de cette accusation. On était en plein 93. Paoli, qui, depuis son retour, avait toujours défendu les intérêts de la France, s’était indigné à la nouvelle de la mort du roi. La convention l’appela à sa barre pour qu’il se disculpât, et l’on sait ce que cela signifiait alors. Malgré les dangers auxquels il s’exposait, Napoléon n’hésita pas à adresser, à ce sujet, une lettre à la convention. Le brouillon de cette lettre, dans laquelle il prenait hautement la défense de son vieil ami, existe encore, écrit tout entier de sa main, dans les papiers qu’il remit plus tard au cardinal Fesch. Nous croyons qu’on lira avec plaisir cette pièce remarquable.

« Représentans,

« Vous êtes les vrais organes de la souveraineté du peuple. Tous vos décrets sont dictés par la nation, ou immédiatement ratifiés par elle. Chacune de vos lois est un bienfait et vous acquiert un nouveau titre à la reconnaissance de la postérité, qui vous doit la république, et à celle du monde, qui datera de vous sa liberté.

« Un seul de vos décrets a profondément affligé les citoyens de la ville d’Ajaccio ; c’est celui qui ordonne à un vieillard septuagénaire, accablé d’infirmités, de se traîner à votre barre, confondu un instant avec le scélérat corrupteur ou le vil ambitieux.