Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/787

Cette page a été validée par deux contributeurs.
777
LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

tairien, les jésuites auraient inventé saint Jean Népomucène, d’abord parce qu’il entrait dans leur système d’inaugurer dans tous les pays où ils voulaient prendre pied de nouveaux objets de dévotion, témoin le Sacré-Cœur, et récemment sainte Philomène. En cela ils pensaient, et humainement parlant ce n’était pas sans raison, qu’il était bon de rajeunir la foi, tout immuable qu’elle est, en en rajeunissant les emblèmes. En second lieu, ils sentaient le besoin de créer un instrument de gouvernement religieux et politique qui leur servît à effacer des esprits les souvenirs de la réforme et ceux de la nationalité bohême que la guerre des Hussites tendait à reconstituer. La population bohême professait une sorte de culte pour la mémoire de Jean Huss, héros et martyr de la réforme. Pour détrôner Jean Huss, ils jugèrent qu’il valait mieux élever autel contre autel que de décrier purement et simplement la victime du concile de Constance. À cet effet, ils avisèrent que le nom de Jean serait bon à conserver… cui nomen erat Joannes. Ils imaginèrent donc une légende, fondée en partie sur la tradition du supplice d’un prêtre que le roi Venceslas avait jadis fait jeter dans la Moldau. Ce prêtre n’avait été qu’un brouillon politique, ils en firent un martyr, disant que Venceslas l’avait fait périr parce que le saint homme avait refusé de dévoiler le secret de la confession de la reine. Ils montrèrent la place d’où on l’avait précipité du pont dans la rivière. Ils apitoyèrent les femmes et, par elles, les hommes sur sa discrétion et sa vertu. Cette histoire, enseignée du haut de toutes les chaires, proclamée au milieu de fêtes d’une grande magnificence, gravée dans le souvenir à l’aide d’un luxe incroyable de statues et d’images, eut bientôt pris de la consistance parmi des paysans faciles à persuader et ignorans. Les nobles, plus clairvoyans, étaient contenus par la menace et par l’étroite surveillance que le catholicisme rend aisée. Saint Jean Népomucène ainsi historié était, en somme, un saint plus merveilleux que Jean Huss, et il l’emporta sur lui. Son triomphe consacra celui du catholicisme et de l’empereur et fit la fortune des jésuites.

À tout prendre, cette légende est aussi bien trouvée que celle de Romulus et de Remus avec leur louve, et que toutes celles dont on a repu, dans le passé, l’imagination populaire. Il y a deux ou trois mille ans, quand l’immense majorité des populations était nécessairement vouée à l’ignorance et la superstition, de pareils procédés de gouvernement politique et religieux pouvaient être légitimes. Il faut prendre les peuples par où ils donnent prise, tout comme on