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distribués l’antique cathédrale dont on aperçoit de loin les aiguilles, des couvens, plusieurs palais appartenant à des particuliers, le musée, un beau pavillon appelé l’observatoire de Tycho-Brahé. Au travers de la Moldau sont jetés deux ponts, images l’un du passé, l’autre du présent ; le premier avec de lourdes arches en pierre pieusement garnies de statues, l’autre en fer, légèrement suspendu, dont les chaînes tracent ou traceront (car il n’est pas encore terminé) d’une rive à l’autre les amples contours de leurs courbes allongées[1]. Au milieu de la rivière s’étend une île couverte de beaux arbres (l’île des Tireurs). Sur les croupes de cette même rive droite se déroulent de jolies et spacieuses promenades dues au comte Chotek, qui occupe depuis plusieurs années avec une grande distinction le poste important de grand-bourgrave (gouverneur-général de la Bohême). De toutes parts, ce sont des souvenirs historiques, souvenirs guerriers pour la plupart, car la guerre a, durant de longs siècles, dévasté la Bohême. Ici la fenêtre du haut de laquelle furent précipités les deux conseillers d’état Martinitz et Slawata, ce qui donna le signal de la guerre de Trente-Ans ; ailleurs, des boulets lancés par-dessus les murailles par les Prussiens du grand Frédéric ; on en trouve un exposé à l’une des fenêtres de la cathédrale, dans l’intérieur de laquelle il était entré. Sur plusieurs points enfin, Prague offre des raretés qui feraient envie aux plus grandes capitales. Tel est le tombeau de saint Jean Népomucène, dans la cathédrale ; on y compte sept ou huit grandes statues en argent. Nous sommes fiers, à Paris, d’en avoir une, celle de la Paix, aux Tuileries. À ce propos, du train dont vont les affaires européennes, ne croyez-vous pas que bientôt nous devrons la fondre ?

  1. Ce pont est exécuté par une compagnie. Le comte Joseph Thun, d’une des plus nobles familles de l’empire, et l’un des intéressés à cette entreprise, s’adonne à la surveillance des travaux avec un zèle admirable. Il paie de sa personne à tout instant. Je le trouvai qui assistait à l’épreuve des chainons. En citant cet exemple je n’ai pour but seulement de rendre hommage à un remarquable témoignage de sollicitude pour une œuvre d’intérêt public. Je tiens surtout à signaler, à propos de cet acte isolé, l’ardeur avec laquelle la noblesse bohême se livre aux améliorations de tout genre. Non pas nominalement, mais effectivement, par son intervention personnelle et par ses capitaux, elle est à la tête de tous les perfectionnemens scientifiques et industriels, je devrais dire aussi sociaux, car la grande majorité des seigneurs boêmes est favorable au rachat des corvées moyennant des conditions fort peu onéreuses pour le paysan. Par une conduite pareille, la noblesse bohême fait preuve à la fois d’humanité, de patriotisme et d’habileté ; c’est par de tels efforts, en effet, qu’on peut justifier sa prééminence et la conserver.