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temps anciens. Si elles n’assassinent plus le corps, elles s’attaquent à l’honneur. La calomnie leur tient lieu de stylet, ou les sert tout aussi bien que le suc des plantes vénéneuses. Elles sont plus remuantes que jamais ; elles intriguent autant qu’à toute autre époque et se soucient aussi peu de troubler la paix publique et de bouleverser l’état ; et, ce qui les rend plus formidables que dans le passé, elles fermentent au fond d’un nombre infiniment plus grand de poitrines.

À cette force dissolvante qui au lieu de diminuer augmente, il est indispensable d’opposer une grande force de cohésion. De là, la nécessité, aussi flagrante de nos jours que dans les temps anciens, d’une autorité politique et d’une autorité religieuse. Ainsi les sociétés modernes ne sauraient se passer ni de l’autel, ni du trône. Toute société qu’on essaierait d’édifier sans recourir aux deux principes de l’obéissance et de la foi ne durerait pas.

Il faut savoir obéir, ne fût-ce que pour apprendre à commander. Parmi ces caractères inflexibles qui ne veulent point reconnaître de supérieurs, combien en a-t-on vu qui ne fussent pas à la merci d’influences subalternes, méprisables quelquefois ? La foi est indispensable à chacun des membres de la famille humaine, car pour tous, sans exception, la démonstration a ses limites. Ceux qui se piquent de ne point avoir de croyance, sont de fait, le plus souvent, les plus crédules des mortels. Ils ne croient pas en Dieu, mais ils croient en Mlle Lenormand, ou en leur propre étoile, ou à leurs songes. Ils se refusent à admettre, autrement que sur une preuve purement rationnelle, qu’il faille honorer Dieu et aimer ses semblables ; ils acceptent de confiance et aveuglément ce que leur insinue leur envie ou leur ambition, qu’il est permis de troubler les sociétés, de renverser l’autel et le foyer domestique près desquels l’humanité est toujours venue chercher un abri.

À ce sujet, l’interlocuteur que je citais tout à l’heure, répétant une pensée que je crois tirée de saint Augustin, me faisait remarquer que l’incrédulité était une foi tout comme la croyance, mais une foi négative, une foi tournée à l’aigre. L’athée croit, il croit de conviction non raisonnée tout aussi bien que le plus fervent catholique, il croit le contraire du reste de ses semblables ; mais il croit tout autant et avec moins de preuves assurément : l’incrédulité enfin, n’est que de la crédulité à rebours. Il se peut que le raisonnement pur ne démontre pas mathématiquement l’existence de Dieu et les dogmes de la religion ; c’est que la foi n’est pas une affaire de raisonnement. La faculté de raisonner qui a été départie à l’homme, est bornée. Au-