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QUATRE PRÊTRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

On aurait grand tort de penser que l’analogie de leurs œuvres, de leurs idées et de leur génie puisse s’expliquer par l’imitation littéraire. Seul parmi eux, Rabelais a imité Merlin Coccaïe, qu’il cite avec estime à plusieurs reprises ; mais là s’arrête l’influence mutuelle que l’on serait tenté d’attribuer à ces quatre personnages sympathiques. Skelton écrivait en vers macaroniques son portrait de la tavernière des faubourgs recevant chez elle les moines ivrognes et les abbés joufflus, long-temps avant que le cuisinier italien eut inventé ses macaronées et loué la voracité épique de ses héros. La bière forte de Skelton ne doit rien à la dive bouteille du Chinonais, qui ne fit son apparition dans le monde qu’après la mort de Skelton. L’influence était dans l’air ; elle vivait et se répandait à travers le siècle, comme une contagion incurable de la pensée, à laquelle nul peuple ne pouvait résister. Il faut donc regarder désormais la civilisation européenne comme un tout, sa marche comme un ensemble, ses vicissitudes et ses péripéties comme appartenant au même drame. En histoire comme en fait d’études littéraires, le synchronisme seul peut substituer la lumière aux ténèbres. C’est cette anatomie comparée des littératures qui, si l’on emprunte ce mot aux sciences naturelles, dissipe tous les doutes obscurs. Ce qui paraissait unique et isolé, imprévu et privé de causes, se présente comme naturel, nécessaire et général. Plus de phénomènes sans antécédens et sans corrélatifs, mais un ensemble de faits qui se réunissent dans un grand système et qui en font comprendre l’étendue et la tendance. On ne doit plus regarder Rabelais comme un moqueur bizarre, qui s’enferme dans sa solitude de Meudon, entre une cruche de vin vieux et de vieux livres, pour railler à son aise un monde qui n’a rien de commun avec lui. Luther n’est plus ce Jupiter tonnant du protestantisme, trouvant un beau jour dans sa pensée la révolution religieuse de l’Europe. Poussés et emportés l’un et l’autre par le courant des affaires humaines, ils représentent une des phases de l’humanité. En cédant au flot qui les entraîne, en se mêlant au torrent de la civilisation, ils ne s’abaissent pas, ils s’élèvent dans l’esprit du philosophe. La révolte du corps contre l’ame, de la nature contre la règle, des sens contre l’esprit, se personnifie en eux.

Skelton, le premier en date, puisque sa naissance remonte à 1469 et sa première publication à 1512, Skelton qui n’a point imité Merlin Coccaïe, malgré l’assertion frivole de Warton[1], puisque Merlin

  1. Hist. of Engl. Poetry, t. II.