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QUATRE PRÊTRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

côté, et, tout en professant de son repentir et de son retour à une vie plus honnête, il se consola de ce qu’il perdait en jetant les souvenirs de son expérience dans une épopée bouffone. Il ne l’écrivit pas même en latin, langue des savans, ni en italien, langue des cours, mais en latin de cuisine, mêlé de patois toscan, de gros mots populaires et d’élégances romaines, et qui a fait école.

Ainsi furent rédigées, en argot ridicule, moitié allégoriquement, moitié sérieusement, les aventures du moine Folengo. Ce poème, aussi énorme que le Pantagruel, aussi confus et tout aussi gastronomique, s’appelle la Macaronée de Merlin Coccaïe, ou, si l’on veut, « plat de macaroni offert au public par le cuisinier Merlin. » À la tête des premières éditions de cette œuvre grotesque, une estampe, dont l’allégorie est toute rabelaisienne, montre l’auteur couronné de lauriers, assis près d’une table du XVIe siècle, entre deux femmes complaisantes, Tognina, qui lui verse à boire, et Zanitonella, armée d’une fourchette à deux pointes, au bout de laquelle est suspendu le délicieux macaroni. Merlin Coccaïe ouvre une bouche énorme pour recevoir cette manne céleste, et sa main avide s’étend vers la table pour y chercher le plat qui la contient. Le sens du grossier et triple symbole est facile à déchiffrer. Ce plat de macaroni de Merlin manque d’invention et de poésie, mais on y trouve une fluidité de veine qui ne tarit pas, une facétie inexorablement bouffone, un gros rire sans bornes, en un mot toutes les colossales fantaisies de Rabelais, ébauchées légèrement, mais reconnaissables et jaillissant d’un pinceau vif et hardi. Il ne leur manque que le sérieux et le but. Cette raillerie perpétuelle sans philosophie et sans fond, ces éclats de rire presque idiots sur les choses, les hommes et les temps, ces descriptions sans fin des rues, des routes, des villes, des marchés d’Italie, des cardinaux eux-mêmes et de leurs consistoires, sont évidemment les prototypes de l’œuvre rabelaisienne.

Le procédé de Folengo est souvent celui de Rabelais : l’énumération devenue comique par son exagération même. Le catalogue des objets vendus au marché occupe cent vers macaroniques :

Stringas, cordones, bursellos, cingula, guantos,
Taschellas, scufias, scufiottos, cultra, guainas,
Carneros, fibias, calamos, calamaria, cordas,
Pectina, specchiettos, zamporguas atque sonaios
, etc.[1].

Merlin Coccaïe a donné à Rabelais l’exemple de cette érudition

  1. Macaron, V.