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REVUE. — CHRONIQUE.

disparaissaient si facilement de la terre ! Parce que ces peuples, après tant de prodiges accomplis pendant que les autres sommeillaient, reprennent aujourd’hui haleine à leur tour, il ne faut pas tant se presser de dire : tout est fini, tout est perdu, ils ne se relèveront pas. Au contraire, je dirai : s’ils sont las, ils se reposeront ; s’ils sont assis, ils se relèveront ; s’ils sont morts, ils ressusciteront ; car ils sont nécessaires à l’économie de la société moderne, où leur place est marquée par le plus grand système qui soit encore dans le monde, par le catholicisme,

Au lieu de tant se presser de les ensevelir vivans, la mission de l’esprit français est donc plutôt de servir de médiateur entre l’Europe du midi et l’Europe du nord, pour réconcilier l’une et l’autre, en comprenant l’une et l’autre. L’histoire, la vie, la poésie du monde moderne ne tendent point à la suppression de l’un des élémens du génie européen, mais à leur réconciliation. Dans cette œuvre, la France n’a-t-elle pas tout reçu de la Providence pour clore le débat, rapprocher les membres de la famille divisée, réparer la tunique partagée du Christ ! N’est-elle pas du Nord et du Midi, de la langue d’oil et de la langue d’oc ? Si l’on parle de tradition, qui donc en a une plus longue que la sienne ? Si l’on parle d’innovation, qui donc s’y est plongé plus avant ? Par ses frontières, ne touche-t-elle pas à la patrie, à la pensée de Dante, de Calderon, de Shakspeare, de Goethe ? Ne peut-elle pas, mieux que personne, comprendre l’idéal des peuples qui l’entourent et s’élever ainsi à la pensée suprême qui doit les unir et les pacifier tous ?

Cette situation est telle qu’elle n’a pas d’autre danger que son excellence même. Oui, au sein de ce cosmopolitisme facile, nécessaire, auquel tout nous invite, je ne crains qu’une chose, c’est que l’humanité ne fasse oublier leur pays à quelques-uns d’entre nous, et que, pour quelques vertus nécessaires, je le répète, mais aisées de nos jours, mais d’une pratique commode, nous ne perdions les plus difficiles.

Plus l’esprit s’étend, plus il admet aujourd’hui de formes, de choses, de systèmes, d’élémens étrangers, plus aussi je voudrais que le cœur, du moins, restât fidèle à ce pays, objet de tant d’espérances, assiégé en secret par tant d’inimitiés. Au milieu du spectacle de tant de climats qui s’appellent, qui se mêlent, au milieu de tant de monumens du génie étranger, qui nous enlèvent pour ainsi dire à nous-mêmes, à nos propres foyers, n’oubliez pas ce nom de France, cette terre souvent voilée, souvent contristée, toujours sacrée, et surtout gardez-vous bien de penser que ce soit un signe de peu de philosophie de vous attacher au drapeau sous lequel le ciel vous a fait naître. L’histoire des peuples est l’histoire de leur émulation vers Dieu, ce n’est pas celle de leur renoncement volontaire. Et qui donc le sait mieux que la philosophie du Nord, qui n’a jamais cessé, qui en ce moment même, par la bouche de Schelling, ne cesse pas de confirmer, de fortifier, de relever les nationalités et les espérances croissantes du Nord

Pour ma part, plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu qu’il n’est rien de vivant, rien de grand dans les choses et les œuvres humaines, où vous