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vateurs. Le débat est donc établi entre la propriété et l’intelligence ; pour être électeur, suffit-il d’être un homme de quelque instruction, ou bien faut-il, quelles que soient les lumières qu’on possède, offrir en outre la garantie d’une fortune immobilière ? C’est là au fond la question, toute la question. Il est facile de voir que ce n’est pas en abordant un projet aussi grave, un point qui touche aux bases même de notre organisation politique, qu’on pourrait se contenter d’un examen superficiel, d’une discussion incomplète. Il ne faut pas songer à éluder la question ; il faut au contraire l’aborder en plein, avec franchise, avec courage ; il faut la décider.

Nous ne voulons pas affirmer qu’en soulevant cette question, on ait obéi aux nécessités les plus pressantes du pays. Nous ne voulons pas affirmer que dans ce moment le pays soit très vivement préoccupé des questions de cette nature. Il est rare, en effet, très rare que le public se préoccupe à la fois de deux grandes idées, de deux grands intérêts. Aujourd’hui malheureusement, on ne saurait nier que les intérêts matériels n’agitent les esprits plus encore que les intérêts moraux et politiques. On veut, avant tout, être certain de ne pas payer une fenêtre de trop ; on demande avant tout un port, un chemin de fer, un canal. Cette tendance des esprits n’est pas particulière à la France ; elle n’est que trop générale. C’est une phase qui s’accomplira dans l’ordre des temps, comme s’accomplissent dans l’histoire des peuples les phases politiques, les phases religieuses. Peut-être la question ne portait pas en elle-même ce caractère d’urgence qui fait supporter impatiemment au pays les délais et les ajournemens. Mais une fois les esprits éveillés et l’attention excitée, il importe de pénétrer dans les profondeurs de la question. C’est à un débat grave et solennel que nous assistons. Nul ne doit épargner ses forces ; nous avons le droit de connaître la pensée de toutes les notabilités politiques du pays. Parmi ces notabilités, M. Dufaure était l’homme le plus curieusement attendu à la tribune. Son discours est un évènement, tant à cause des doctrines qu’il développe que de l’irritation qu’il a soulevée dans les centres.

Aux embarras de l’intérieur s’ajoute dans ce moment pour le cabinet une grave difficulté à l’extérieur. C’est le 20 février que devraient être échangées les ratifications du traité relatif au droit de visite. Nous sommes convaincus que cet échange, de la part de la France du moins, n’aura pas lieu. Il est impossible de regarder le vote de la chambre comme non avenu. Le cabinet anglais pourrait-il s’étonner de la réserve de nos ministres ? Ne connaît-il pas les nécessités politiques des gouvernemens constitutionnels ? Au reste, nous ne demanderons pas, et personne ne doit, ce nous semble, demander dans ce moment où en est cette négociation délicate. La ratification n’est pas un fait qui puisse demeurer occulte. Il nous sera révélé de toutes parts. Notre gouvernement lui-même sera obligé de le publier.

Si notre ministère n’est pas sur des roses, le cabinet anglais aussi éprouve de graves difficultés, et il rencontre plus d’une question épineuse. Le vote de la chambre des députés sur le droit de visite, tout en plaçant le ministère français dans une position fort délicate, au milieu de difficultés presque inex-