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que les plaies faites par la guerre se cicatrisassent, et puis la paix européenne ne fut jamais pour l’Angleterre une paix complète. Son empire dans l’Inde s’étendit ; elle fonda partout de nouvelles colonies ; ce fut un enchaînement de sacrifices et de conquêtes qui devinrent tour à tour nécessaires : l’industrie grandit avec les besoins du commerce, et la classe industrielle avec elle. Une masse énorme de capitaux, presque toute la fortune mobilière de l’Angleterre, fut mise en réquisition : le budget, grossi par les intérêts de la dette, obligea le gouvernement à chercher tous les moyens possibles d’augmenter les ressources des contributions, qui pèsent moins directement sur la propriété foncière, déjà surchargée d’impositions, et le commerce satisfit amplement à ces demandes. À cette époque, je parle des années qui suivent 1815, il n’était pas un point du monde où le commerce britannique ne régnât sans rivaux ; les autres nations avaient perdu l’habitude des opérations de long cours ; la guerre leur en avait fermé les voies ; les États-Unis n’avaient pas encore couvert la mer de leurs navires et de leurs hardis spéculateurs. La France, plus que toute autre nation, avait son éducation commerciale à refaire. Le monde, hors d’Europe, était presque nouveau pour elle.

Mais vingt-sept années de paix ont déjà commencé à changer la face des choses ; les manufactures de la Grande-Bretagne ne sont plus aujourd’hui les seules à approvisionner de leurs produits les marchés des quatre parties du monde. Quelques nations ont payé et paient encore cher leurs premiers essais commerciaux ; déjà cependant leur industrie suit de près les progrès de l’industrie anglaise, et les devance quelquefois. Nos navires connaissent aujourd’hui, aussi bien que les navires anglais, la route des Indes et de l’Amérique. Le pavillon américain, le pavillon français, flottent partout auprès du pavillon britannique, et, ce qui est plus alarmant pour l’Angleterre, les gouvernemens commencent à sentir toute la force que l’action commerciale peut donner à un état ; ils voient dans l’accroissement de leurs exportations non-seulement un aliment pour l’industrie et une source de revenus pour le trésor, mais encore et surtout les élémens d’une grande force maritime, expérience acquise au prix de trente années de luttes, et qui commence à porter ses fruits.

Malheureusement pour l’Angleterre, elle ne peut pas resserrer les limites de son industrie à mesure que les débouchés lui manquent. Cette industrie, je parle de celle qui est alimentée par le commerce d’exportation, a pris au contraire un développement vraiment prodigieux. Aujourd’hui même, les manufactures se multiplient chaque jour sur le sol anglais. C’est désormais un capital qui meurt si on ne l’augmente. Presque toute la fortune mobilière de l’Angleterre, et elle est immense, était livrée, je le répète, aux fluctuations d’un commerce lointain. Jusqu’ici le capital a produit de riches intérêts, il a payé une grande partie des dépenses de la nation ; mais la source de ses profits s’épuise ou diminue : ce ne sera bientôt plus ce grand fleuve dont toutes les eaux allaient enrichir le sol de l’Angleterre ; il se divisera, il se divise déjà en mille ruisseaux qui vont arroser d’autres terres. Chaque nation veut