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nous connaissons, vouloir remuer une masse de 300 millions d’hommes, la faire sortir tout d’un coup de son ornière pour la diriger dans le bon chemin ; employer pour cela quelques lettres rédigées en style ministériel et quelques milliers d’hommes, vraiment il y a de quoi s’étonner. Non, l’Angleterre ne pouvait conserver long-temps cette espérance ; elle savait que le gouvernement chinois résisterait à toutes les négociations, et qu’il faudrait employer bientôt la force des armes ; elle savait jusqu’où pouvaient aller les conséquences de ses prétentions. Elle a été poussée par la force des choses vers un but qui s’est agrandi plus qu’elle ne s’y attendait peut-être, et aujourd’hui elle est placée de manière à ne pouvoir plus reculer. L’Angleterre est trop sage pour avoir compromis son commerce avec la Chine à propos de frivoles questions d’étiquette. Les besoins, les exigences de son industrie, dont le développement doit l’effrayer, l’ont, plus que toute autre cause, poussée dans cette voie dangereuse. Elle joue là une terrible partie ; les enjeux de part et d’autre sont immenses. Dieu veuille pour elle qu’après deux ou trois années de pertes et de sacrifices incalculables en hommes et en argent, les choses en reviennent au point où elle les a prises. Elle pourrait encore dire qu’elle a gagné !

Le commerce d’opium est un des principaux motifs, si ce n’est le premier de la crise actuelle. On sait que ce commerce s’était accru, depuis douze ans, d’une manière vraiment prodigieuse. L’introduction de l’opium en Chine s’éleva, pendant l’année 1838, à 35,000 caisses, formant un poids de 4,375,000 livres, et une valeur, en estimant la caisse à 500 piastres, de 17,500,000, ou, au taux élevé du change en Chine, de 105,000,000 de francs. Remarquez que presque tout l’opium qui s’est vendu sur la côte de Chine ne l’a pas été à moins de 1,000 et quelquefois 1,200 piastres la caisse. Je pense donc être au-dessous de la réalité en affirmant que l’extraction d’argent de la Chine pendant cette seule année, et pour la seule consommation d’un poison dont on connaît l’action sûre, quoique lente, n’a pas été moindre de 150,000,000 de fr. Vous remarquerez encore que toutes les ventes d’opium, ventes qui doivent s’opérer promptement, afin d’échapper à l’active surveillance des autorités, intéressées de manière ou d’autre à les découvrir, se font toujours contre de l’argent comptant ; que des transactions de cette espèce n’admettent pas toutes les lenteurs d’un commerce régulier d’échanges. Le trafic de l’opium était donc, aux yeux du gouvernement chinois, coupable sur trois chefs, qui devaient provoquer toutes les sévérités de la justice. D’abord, la vente en contrebande de l’opium amenait des navires européens sur la côte de Chine et dans des lieux fermés aux étrangers, où la surveillance du gouvernement ne pouvait être aussi active que sur le point consacré aux autres opérations commerciales ; ensuite, l’opium exerçait une funeste influence sur la population, en la ruinant et en la rendant peu à peu impropre au travail ; enfin, l’immense richesse qui, depuis tant de siècles, s’était accumulée en Chine par un système commercial qui consistait à acheter peu et à vendre beaucoup, s’écoulait rapidement par une voie contraire. De nombreux édits, souvent publiés, interdisaient, sous les peines les plus