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espèce ; il éprouvait, en revanche, des joies d’enfant quand il avait rencontré un modèle à sa convenance, et qu’il parvenait à le reproduire à son gré. Pour un homme aussi solitaire que lui, ces vicissitudes quotidiennes acquéraient une importance singulière : c’était sa vie.

M. de Laberge choisissait avec le même scrupule l’épisode qui devait animer le paysage. La disposition des groupes, le mouvement et l’expression des figures lui coûtaient des études et des recherches infinies. On aurait peine à s’imaginer le soin qu’il mettait à l’exécution des diverses parties des vêtemens. Aucun détail ne le rebutait. Il s’imposait comme une sorte de point d’honneur l’obligation de tout exécuter d’après nature, et se tenait parole. C’était là peut-être le côté critiquable de sa méthode ; l’art ainsi entendu n’étant plus qu’une sorte d’habitude de vision perfectionnée et la réussite dépendant du plus ou moins de puissance de l’organe visuel. Quand nous discutions à fond ce chapitre, ce qui nous est arrivé plus d’une fois : — Vous avez peut-être raison, me disait-il ; mais moi je vois, et j’ai pour principe de faire ce que je vois, et de le faire comme je le vois. Si je transige avec la forme, si je corrige la nature, qui me dira où je dois m’arrêter et ce que je dois corriger ? — Le sentiment, le goût. — Croyez-vous donc que j’obéisse à autre chose qu’à mon sentiment, quand je pousse le fini à ce degré que vous trouvez excessif ? et ce que vous appelez le goût, est-ce autre chose qu’une sorte d’accord entre la manière de voir, ou le sentiment, et la manière d’exprimer ? Mon sentiment et mon goût, à moi, m’obligent à faire comme je fais. Faire autrement, ce serait obéir au goût et au sentiment des autres, sacrifier l’originalité et me soumettre à la convention.

Il y aurait eu beaucoup à répondre à des principes si absolus, tout logiques qu’ils parussent ; mais, avec l’homme convaincu qui les professait, la discussion devenait superflue. Quand c’est un homme que l’on aime, on ne peut qu’en appeler au résultat, que lui souhaiter le succès, même en dépit des principes. C’est ce que nous faisions tous en quittant cet aimable et hardi raisonneur. Nous lui souhaitions également, mais tout bas, la santé : la sienne était déplorable ; depuis long-temps M. de Laberge était atteint d’une grave affection de poitrine. De fréquens accès d’asthme, accompagnés par instans d’une horrible toux, faisaient craindre l’altération profonde d’un organe essentiel. M. de Laberge semblait n’exister que par l’activité de son esprit et de son ame. Il ne connaissait qu’un seul remède à ses maux, qu’une seule distraction à ses souffrances, le travail. Souvent