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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lier, qui allait fort bien avec les excursions vagabondes de leur imagination, s’accorde fort mal avec la tâche rude et sérieuse qu’ils veulent remplir aujourd’hui. Quand ils attaquent des hommes d’état ou quand ils frondent un acte du pouvoir, ils ont toujours l’air de se croire encore à Carlsruhe ou à Kœnigsberg, occupés à tourmenter les bourgeois ou à casser les lanternes de la grande rue.

C’est que l’ardeur dont on a besoin pour un pamphlet n’est pas cette vivacité irréfléchie d’un artiste qui s’exerce en se jouant sur tout ce qui offre un côté risible ; c’est la flamme qui a son foyer dans les convictions les plus profondes du cœur. Ce qu’il faut, ce n’est pas une verve d’atelier, comme celle de M. Karr ; c’est la verve de la tribune. Je suis si loin d’avoir sur le pamphlet l’opinion du libraire juré qui venait de condamner Paul-Louis Courier, qu’au contraire je regarde la mission du pamphlétaire comme la plus sérieuse de toutes. Parmi ceux qui se sont distingués dans cette rude et difficile carrière, je ne connais pas un seul homme qui soit sorti du pays des rêves ; tous avaient d’abord trempé leurs ames dans une vie d’études positives et laborieuses. Les mathématiques, la science aride du droit, la culture des langues, ont préoccupé trois intelligences bien inégales entre elles, mais qui toutes les trois ont remué avec éclat et bonheur des questions vivantes, celle de Pascal, celle de Montesquieu et celle de Courier.

Ce n’est pas le vent, ce n’est pas la fleur, ce n’est pas l’oiseau qui vous murmure à l’oreille ce qu’on doit écrire pour obtenir la réforme d’une loi vicieuse ou l’établissement d’une loi utile ; c’est la science, c’est l’histoire, l’histoire, qui n’est pas si menteuse qu’on veut bien le dire pour se dispenser de l’étudier. Il est des bibliothèques de poètes qui se composent d’un Homère et d’une Bible ; dans la bibliothèque du pamphlétaire, depuis les douze tables de la loi romaine jusqu’au code impérial des Français, je voudrais tous les recueils de législation ; je voudrais aussi toute cette docte réunion d’historiens que Machiavel appelait ses compagnons et ses maîtres. Dernièrement, en parcourant les admirables libelles de Camille Desmoulins, j’en pris un qui, presque dans son entier, n’était pas autre chose qu’une éloquente traduction de Tacite. Quelquefois Paul-Louis Courier substitue aussi à sa pensée celle d’un historien qu’il commente, ou même laisse parler sans commentaire. C’est ainsi que le pamphlet doit s’écrire ; ce n’est pas des entrailles de la nature qu’il se tire, c’est de celles de l’humanité : ce n’est pas seulement une œuvre d’improvisation, c’est aussi une œuvre de labeur. Du reste,