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LE ROYAUME DE NAPLES.

s’y trouvait a maintenu chez le Sicilien une énergie personnelle qui manquait à l’habitant asservi de Naples.

Ainsi, partout où sont importés les principes sacrés que la France a proclamés il y a cinquante ans, ils changent la face des états, et substituent l’entraînement de l’avenir à l’inerte langueur du passé. Leur action emprunte quelquefois la forme terrible des révolutions subites ; mais cette forme ne leur est pas essentielle, quoi qu’on en dise. Ils peuvent aussi procéder par assimilation lente et mesurée. Dans l’un et l’autre cas, dès qu’ils ont paru quelque part, leur triomphe définitif est inévitable. Quand ils se sont répandus dans le monde comme un torrent, ils ont été accueillis d’abord par un sentiment universel de reconnaissance et de joie. Puis le mélange des passions humaines est venu leur ôter un moment leur noble caractère, en les confondant avec l’esprit de subversion et de violence ; la vieille Europe s’est levée alors, et a paru les refouler avec emportement. Mais ce qui a été vaincu, c’est l’alliage qui les avait défigurés ; pour eux, ils ont survécu tout entiers, et, dans la chute même qui a brisé leur armure, ils se sont dégagés plus libres et plus forts. Depuis que la France a perdu ses conquêtes matérielles, ses conquêtes morales se sont accrues, ou, pour mieux dire, son esprit est devenu celui de l’humanité elle-même. En cessant d’être imposé par les armes, cet esprit, désormais immortel, s’est incorporé au génie national des peuples les plus opposés. Livré à lui-même, il fleurit partout, comme le produit spontané de chaque sol, et se propage insensiblement, de proche en proche, semblable à ces semences que transportent les vents.

Regardez sur tous les points du monde, vous y verrez partout cette contagion nouvelle, prenant toutes les formes et s’accommodant à toutes les exigences des sociétés diverses. En Angleterre, c’est l’esprit français qui, pénétrant dans la vieille organisation aristocratique de l’église et de l’état, a rendu nécessaire la grande mesure de la réforme du parlement, et attaché le radicalisme aux flancs de la société privilégiée. En Allemagne, c’est encore l’esprit français qui a brisé les entraves imposées au travail par les anciens gouvernemens, et préparé ainsi le mouvement agricole, industriel et commercial, dont toutes les populations teutoniques sont aujourd’hui si occupées. C’est lui qui maintient, après les avoir suscités, les petits états constitutionnels ; lui qui dirige les conseils des rois absolus eux-mêmes, et les pousse à des améliorations administratives ; lui qui forme en Europe cette force des choses, cette communion universelle de l’opinion, ce lien des habitudes, cette puissance pacifique