Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/622

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
REVUE DES DEUX MONDES.

de révolution. C’est la différence entre l’influence française et l’influence anglaise, que, partout où la première domine, elle laisse après elle les germes d’une régénération, et que, partout où règne la seconde, elle ne fonde rien. En 1815, quand les Anglais ont quitté la Sicile, l’ancienne société y existait encore presque tout entière. La féodalité, quoique supprimée de nom par le parlement de 1812 (et cette concession elle-même était due au voisinage des innovations napolitaines), pesait de tout son poids sur la propriété. Au lieu de maudire le régime qui a commencé alors pour elle, la Sicile devrait le bénir ; si elle y a perdu sa charte à l’anglaise, elle y a gagné la vie réelle par l’introduction des codes français. En affranchissant le sol, ces codes féconds ont plus fait pour la fortune du pays que tous les millions de Nelson. Seulement ils n’ont pas encore eu le temps de porter tous leurs fruits, car ils ont en Sicile dix ans de moins qu’à Naples, et d’ailleurs ils n’y ont pas été précédés, comme à Naples, d’un bouleversement radical. Quand on n’a pas souffert les angoisses d’une révolution, on ne peut pas en avoir les avantages.

La rénovation de la Sicile est donc plus tardive, mais elle n’est pas moins réelle. Un des signes qui attestent le plus la permanence de l’ancienne société, c’est le nombre encore beaucoup trop fort des couvens ; on n’y compte pas moins de six cent cinquante-huit couvens d’hommes et de sept mille six cents religieux. Le nombre des couvens de femmes est inconnu ; en admettant qu’il soit égal à celui des hommes, il n’y aurait pas moins de quinze mille personnes vouées à la vie monastique, sur environ deux millions d’habitans. Mais, à côté de ce fait, il en est d’autres qui révèlent la formation de la société nouvelle. Les décrets de 1818 et de 1824, en abolissant les fidéi-commis et en autorisant les créanciers des seigneurs à se payer en terres, ont commencé le mouvement. Le roi fait de sérieux efforts pour naturaliser dans le pays les formes de l’administration française. Les mœurs viennent peu à peu en aide aux lois. L’agriculture et l’industrie annoncent par des tâtonnemens nombreux leur développement prochain. La population s’accroît ; la navigation s’étend ; il n’y a pas jusqu’à l’élan de l’opinion vers l’indépendance qui ne soit une preuve de vie. Dans quelques années, l’impulsion sera décidément la plus forte ; la réforme se sera faite en détail, au lieu de s’accomplir en gros et d’un seul coup. Ce sera peut-être mieux. L’ancien régime n’était pas tout-à-fait aussi mauvais en Sicile qu’à Naples, et ne méritait pas d’être frappé aussi rudement. Le peu de liberté qui