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LE ROYAUME DE NAPLES.

des charges communes, quoique sa population soit égale au tiers de celle des états de terre terme ; elle n’est soumise ni à l’impôt du timbre ni à la ferme des tabacs ; elle est affranchie de la conscription. Elle a d’ailleurs la même organisation judiciaire et administrative et les mêmes lois civiles que les états en-deçà du Phare. Il lui manque, il est vrai, des institutions politiques, mais Naples n’en a pas davantage. À quoi les Siciliens répondent que Naples n’a eu rien à perdre sous ce rapport, tandis qu’eux ont eu une constitution politique qui leur a été enlevée par le roi absolu. Cette objection n’a pas une valeur réelle, car c’est précisément sous l’empire de cette constitution que la Sicile est tombée dans l’état de dépérissement dont elle se plaint. Que signifie une forme mensongère de liberté, quand le privilége et l’oppression constituent l’essence même de la société ?

Ce qui rend les Siciliens injustes envers le gouvernement napolitain, c’est la différence qu’ils trouvent entre leur état présent et le temps où la cour bannie de Naples s’était réfugiée à Palerme. Mais ce n’était pas seulement la présence du roi qui leur donnait alors une opulence factice, c’était la situation générale de l’Europe. La guerre régnait dans tout le continent ; la Sicile seule était en paix. Les Anglais avaient fait de cette île une de leurs principales bases d’opérations. Ils en tiraient les subsistances pour leurs troupes d’Espagne, et y entretenaient un corps d’armée et une flotte considérable. Les sommes que le gouvernement britannique y envoyait tous les ans, tant pour le subside qu’il accordait à la cour exilée que pour ses autres dépenses, s’élevaient à 12 millions d’onces, ou 150 millions de francs environ. Quand cette source énorme de profits s’est fermée, le changement a été grand et subit. Les prix des denrées, qui avaient subi une hausse démesurée, sont retombés ; le rapport des prix actuels aux prix courans d’alors est de un à dix. Est-ce la réunion de la Sicile au royaume de Naples qu’il faut accuser de cette différence ? Ne peut-on pas dire au contraire aux Siciliens que, s’ils n’ont pas suffisamment profité de cette extraordinaire bonne fortune pour fonder leur richesse à venir c’est à eux surtout qu’ils doivent s’en prendre ? Pendant le même temps, les états en-deçà du Phare étaient le théâtre d’une guerre et d’une révolution, et ils sont sortis de cette crise plus prospères que la Sicile, qui n’avait point eu de guerre à soutenir, qui n’avait point souffert de réactions successives, et qui n’avait eu qu’à recevoir l’or qu’on y versait à pleines mains.

Telle est en effet la véritable cause de l’infériorité actuelle de la Sicile à l’égard de l’autre moitié du royaume. Il ne s’y est pas fait