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LE ROYAUME DE NAPLES.

périaux. Les fanatiques de couleur locale, s’il y en avait eu dans ce temps-là, n’y auraient pas plus trouvé leur compte qu’aujourd’hui, en ce sens que l’aspect général de la ville, les mœurs de ses habitans, le genre de vie qu’on y menait, n’étaient pas sensiblement différens de ce qu’ils étaient à Madrid, à Séville ou à Barcelone. Il en a été de tout temps ainsi dans le monde, soit dit en passant ; presqu’à chaque époque, une influence générale se répand, qui modifie à sa manière le caractère particulier de chaque pays. Au temps dont il s’agit, c’était encore l’Espagne qui donnait le ton en Europe et en Amérique. Seulement la décadence, qui devenait sensible dès-lors dans toute la monarchie espagnole, était plus marquée encore à Naples qu’ailleurs. L’administration des vice-rois, assez habile dans l’origine, avait suivi la même loi de dépérissement que le reste de l’immense empire de Philippe II ; et comme la nation asservie ne réagissait pas dans l’intérêt de son propre salut, elle était livrée à une dissolution sans limites. Les fautes des hommes semblaient être parvenues à tarir jusqu’aux sources de la vitalité publique, dans le pays le plus riche et le plus fertile de l’Europe ; il n’y avait plus que misère, ignorance, anarchie et dépopulation.

Trois millions d’hommes tout au plus, décimés par les disettes, les épidémies et les excursions des Turcs sur les côtes, habitaient le royaume de Naples en-deçà du Phare, qui en compte aujourd’hui le double. La confusion des législations et des jurisprudences avait donné naissance à une armée de gens de loi qui dévoraient toutes les propriétés privées. Les prêtres et les moines formaient une autre armée qui vivait dans la richesse et dans l’oisiveté ; on n’en comptait pas moins de cent douze mille dans le royaume. La moitié des terres appartenait à l’église, l’autre moitié aux barons, restes dégénérés de l’ancienne féodalité normande. Des taxes onéreuses épuisaient la production dans ses sources mêmes, pour obtenir les tributs énormes qui étaient envoyés annuellement à Madrid, et qu’un écrivain napolitain évalue à plus de deux milliards de francs en un siècle. Il n’y avait d’autre route ouverte dans tout le pays que celle de Rome à Naples. Le peuple était réduit, au milieu même de la capitale, à la condition des bêtes. Des bandes d’assassins et de voleurs s’organisaient impunément sous les yeux de l’autorité et commettaient en plein jour les plus grands crimes. Les trois quarts du sol restaient en friche. L’armée, sans discipline et sans nationalité, n’était qu’un ramas d’étrangers et de gens sans aveu, contraints par tous les moyens à s’enrôler ; la marine n’existait pas. C’est de cette époque