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resques depuis qu’ils font de meilleures affaires, ni que ses délicieuses nuits aient moins de douceur depuis qu’on peut s’y livrer tout entier sans craindre d’être arrêté par un malfaiteur au milieu de sa rêverie. Les gens qui ne voyagent pas sont en général les plus grands partisans de cette partie de la couleur locale qui tient à la barbarie ; c’est qu’ils ne l’ont vue qu’en imagination, et qu’ils ne savent pas combien elle perd à la pratique. Au reste, que ceux qui trouvent prosaïque d’avoir sous les yeux le spectacle de l’aisance publique, et d’en jouir avec sécurité, se hasardent, s’ils veulent, dans les montagnes de la Calabre, pour y chercher la misère et le brigandage, que la civilisation n’en a pas encore chassés. Pour nous, qui restons à Naples, nous ne manquerons pas d’études à faire, si nous voulons nous rendre compte de ce qui est sans doute moins frappant et moins dramatique, mais qui n’est pas moins intéressant peut-être, c’est-à-dire le mouvement qui s’accomplit dans le sein de cette société napolitaine, et qui est, à notre sens, la véritable nouveauté, la singularité actuelle du pays, tout autant que les bandits et les lazzaroni ont pu l’être dans d’autres temps.

Ce mouvement peut être caractérisé par un mot, c’est le produit des idées et des institutions françaises. Naples est la ville la plus française de l’Italie, peut-être même n’avons-nous laissé nulle part en Europe d’aussi fortes traces de notre passage. Il y a eu toujours entre Naples et la France je ne sais quelles affinités mystérieuses. Ce sont des Français, des Normands, qui ont créé le royaume de Naples, au XIe siècle, et qui y ont porté la féodalité ; c’est un Français, Charles d’Anjou, qui en a fait, deux cents ans après, le siége d’une puissance et d’une politique qui n’ont pas encore été justement appréciées. Au XVe siècle, Charles VIII y passe comme un éclair éblouissant ; au XVIIe, c’est le duc de Guise qui y ramène le nom français ; de nos jours, c’est la république parthénopéenne et le roi Joachim Murat. Les influences qui ont combattu la nôtre, et qui ont dominé dans les intervalles de nos apparitions, ont été diverses. La plus puissante et la plus durable de toutes a été l’influence espagnole. L’Espagne a gouverné Naples pendant deux siècles entiers, et a fortement imprégné de son génie le génie national. Mais son action n’a pas pénétré aussi profondément que l’action de la France ; la France se montre à la fois à Naples au commencement et à la fin, au XIe siècle et au XIXe ; elle a le premier mot et le dernier.

Il y a cent ans, la ville de Naples avait une physionomie tout espagnole, quoiqu’elle eût été momentanément occupée par les im-