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à la Des Marests. Je louerais très volontiers Du Bartas de cette influence morale, si cela faisait quelque chose à la poésie. On a dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions ; je ne sais trop ce qui en est pour l’enfer, et le mot me paraît dur ; car, moralement, les bonnes intentions méritent peut-être d’être comptées ; ce qui est plus sûr du moins, l’enfer des mauvais poètes, le temple du mauvais goût reste ainsi pavé. 3o C’est surtout à titre littéraire et pour le goût, que je crois saisir une famille très réelle de Du Bartas, et qui, bien qu’elle ne l’avoue pas toujours, relève de lui plus que d’aucun parmi les précédens. Si à Bertaut se rapportent plutôt les affadis, à Du Bartas reviennent de droit les ampoulés. Il est bien le père ou le grand-père de cette mauvaise lignée de poètes plus ou moins gascons et pesans, tant moqués par Boileau, Des Marests déjà cité et son Clovis, Saint-Amant et son Moyse, Scudéry et son Alaric, Chapelain et sa Pucelle, Brebeuf et sa Pharsale aux provinces si chère ; le plus tolérablement estimable serait encore le Père Le Moyne avec son Saint Louis. Boileau a fait justice de tous sans aller jusqu’à Du Bartas qu’il n’apercevait plus directement et qui était dès long-temps de côté. Sorel, Colletet, eux-mêmes, ces critiques retardataires, louent surtout l’auteur de la Semaine pour la gravité de son sujet ; et ce n’est qu’avec une certaine réserve qu’ils parlent de la vigueur de ses vers. La grande édition in-folio de Du Bartas, en 1611, peut être considérée comme son vrai tombeau[1].

Au dehors il n’en fut pas ainsi ; sa renommée faisait son chemin ou même continuait de grandir. Les plus honorables fortunes lui arrivaient. Traduit en vers italiens (versi sciolti) par Ferrante Guisone en 1592, il suggérait cette année même au Tasse l’idée du poème des Sept Journées que le noble infortuné commençait à Naples et travaillait encore à Rome dans les derniers temps de sa vie. Les œuvres complètes de Du Bartas paraissaient à Londres, en 1621, traduites en vers anglais par Josué Sylvester. Quelques années plus tard, William L’Isle publiait, traduits de nouveau en vers, quatre livres de la Seconde Semaine ; il avait choisi ceux qui célèbrent, par anticipation, l’Angleterre et le règne d’Élisabeth, Bacon, Morus, Sydney, et aussi les grandeurs de la France. C’était, de la part du traducteur, une manière de galanterie de circonstance pour l’union de Madame Henriette et de Charles Ier et pour l’alliance des deux

  1. On en découvrirait bien encore des éditions postérieures ; il m’en passe une entre les mains, de Rouen, 1623, mais mauvaise et sans les commentaires.