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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

mais la cour et le Louvre continuent de lui échapper. Malherbe, qui rudoie Desportes, qui biffe Ronsard et qui se chamaille avec Regnier, peut négliger Du Bartas ; il ne le trouve pas sur son chemin.

Si, à l’intérieur et à y regarder de près, la gloire de Du Bartas véritablement diminue et ne s’enregistre pas définitivement, une certaine somme bruyante et imposante de renom continue toujours. Je crois pouvoir noter sur une triple ligne l’espèce de postérité qui se rattache à lui. 1o Poète scientifique et théologique, il trouve des sectateurs ou des contradicteurs ; un écrivain bizarre, Christophe de Gamon, publie, en 1609, sa Semaine ou Création du Monde contre celle du sieur Du Bartas ; au milieu de beaucoup de marques d’estime, il relève son prédécesseur sur divers points de cosmogonie ou de théologie. Il se pique même d’être plus exact que lui en physique, en histoire naturelle. En vient-il, par exemple, à cette célèbre description du Phénix dont la mort et la résurrection, selon Du Bartas,

Nous montrent qu’il nous faut, et de corps et d’esprit,
Mourir tous en Adam, pour puis renaître en Christ ;

Gamon la reprend en sous-œuvre et en réfute en trois points toutes les bourdes, comme il dit très élégamment[1]. Mais un ami de Guillaume Colletet, Alexandre de Rivière, conseiller au parlement de Rennes, examine à son tour quelques opinions de Gamon, et les réfute en vers également, dans son Zodiaque poétique et philosophique de la Vie humaine (1619). C’est une triste et bien lourde postérité pour un poète que cette suite pédantesque et presque cabalistique qu’il traîne après lui. 2o Chantre moral et chrétien, Du Bartas contribue à provoquer, à mettre en honneur le genre des paraphrases bibliques et des poèmes sacrés : ainsi on rencontre Chassignet de Besançon, qui paraphrase les douze petits Prophètes en vers français (1601) ; plus tard on a Godeau, d’Andilly, et les poèmes épiques sacrés

  1. Ce Gamon a fait peut-être les vers les plus ridicules qu’on ait écrits en français ; j’en cite (d’après Colletet) cet échantillon, tiré de son Printemps qui parut en 1600, dans ses premiers Essais poétiques :

    La nymphèle Printiène, en ce temps perruquet,
    Muguette par les fleurs Priape aime-bouquet,
    Qui, pour multiplier, libéral, recommence
    Aux jardins ménagers d’impartir sa clémence ;
    Aussi, qui çà, qui là, les courbes jardiniers
    Vont semant les choux blancs, les humides pourpiers…

    C’est de l’argot. Il n’y a plus, après cela, que les petites-maisons.