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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Mon étang soit ma mer, mon bosquet mon Ardène,
La Gimone mon Nil, le Sarrampin ma Seine,
Mes chantres et mes luths les mignards oiselets,
Mon cher Bartas mon Louvre, et ma Cour mes valets[1] !…

Il dut servir les rois et les approcher. Il paraît qu’il fut fort employé par Henri IV en diverses ambassades ; sa grande illustration littéraire à l’étranger devenait une heureuse condition pour ces rôles de diplomatie. Il fut peut-être au nombre des envoyés que le roi de Navarre dépêcha en Allemagne, en 1586, pour hâter la marche des secours qui lui étaient promis, et pour dissiper les bruits de trêve qu’on avait fait courir. Goujet dit qu’il alla jusqu’en Danemark. Ce qui est certain, c’est qu’il figura en Écosse à la cour de Jacques VI ; ce prince théologien et poète reçut le chantre biblique avec toute sorte de distinction, et le voulut même retenir. Il paraît qu’il poussa la galanterie envers son hôte jusqu’à traduire en anglais quelque chose de la seconde Semaine, et Du Bartas le lui rendit en traduisant à son tour en français le cantique du roi sur la bataille de Lépante. Ronsard, docte et galant, avait été le poète de Marie Stuart ; Du Bartas se trouva tout naturellement celui de Jacques, comme il l’était du Navarrais, un poète loyal, généreux et assez pédant[2].

Il n’y avait pas long-temps qu’il était de retour de sa mission d’Écosse lorsque de Thou, voyageant dans le midi, le visita (1589). C’est en quittant Montaigne qu’il était allé chercher en son château de Montaigne en Périgord, que l’illustre historien, avec ceux de ses amis qui l’accompagnaient, s’en vint par Bergerac à Montfort dans l’Armagnac, où séjournait notre auteur. Écoutons ce qu’il en dit en ses Mémoires : « Guillaume Du Bartas, encore fort jeune (il avait quarante-cinq ans), et auteur des deux Semaines, les y vint trouver en armes avec ses vassaux, et leur offrit ses services. Il étoit surprenant qu’à son âge (il semble vraiment qu’il sortît de l’enfance) et dans son pays, sans autre secours que celui de la nature…, il eût composé un si bel ouvrage. Aussi il souhaitoit avec passion de voir la fin de nos guerres civiles pour le corriger, et pour venir à Paris le faire

  1. Première Semaine, fin du troisième jour.
  2. Au nombre des traductions en vers latins de la première Semaine, je relève celle-ci, publiée à Édimbourg en 1600, par un Flamand, et dédiée au roi d’Écosse, à qui en cela on savait bien complaire : Hadriani Dammanis a Bysterveldt de Fair-Hill Bartasias. Ce Bysterveldt, d’abord député belge, était devenu professeur en Écosse.