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sûr des vers français. On m’en a montré de singuliers de lui qu’il écrivait à son ami Müller dans sa jeunesse. Je le dirai en tout respect, la vendeuse d’herbes d’Athènes, ou, pour parler comme Paul-Louis Courier, la moindre femmelette de la rue Chauchat en sait plus long sur de certaines fautes indigènes que l’homme de génie étranger. Faites tous vos vers à Paris, dit l’adage ; or Du Bartas n’en fit aucun à Paris. Ce que je crois entrevoir, ce que j’espère prouver, c’est que, même de son temps, malgré toute sa vogue et sa gloire, il fut toujours un peu le poète des provinces et celui des réfugiés ; qu’il n’agréa jamais complètement à la cour ; qu’il choqua ce goût fin des derniers Valois, et que, n’en déplaise à l’électeur de Mayence ou au roi Jacques d’Écosse, le spirituel Du Perron lui refusa toujours son brevet.

Et même à lire le morceau cité par Goethe, nous allons avoir la preuve que tout n’est pas caprice dans ce goût. Il s’agit de Dieu qui, ayant fini son œuvre, s’y complaît et la contemple[1] :

Le peintre qui, tirant un divers paysage,
A mis en œuvre l’art, la nature et l’usage,
Et qui, d’un las pinceau, sur son docte pourtrait,
A, pour s’éterniser, donné le dernier trait,
Oublie ses travaux, rit d’aise en son courage,
Et tient toujours les yeux collés sur son ouvrage.

Il regarde tantôt par un pré sauteler
Un agneau qui toujours, muet, semble bêler ;
Il contemple tantôt les arbres d’un bocage,
Ore le ventre creux d’une roche sauvage,
Ore un petit sentier, ore un chemin battu,
Ore un pin baise-nue, ore un chêne abattu.

Ici, par le pendant d’une roche couverte
D’un tapis damassé moitié de mousse verte,
Moitié de verd lierre, un argenté ruisseau
À flots entrecoupés précipite son eau ;
Et qui, courant après, or’ sus, or’ sous la terre,
Humecte, divisé, les carreaux d’un parterre..

Ici l’arquebusier, de derrière un buis vert,
Affûté, vise droit contre un chêne couvert

  1. Entre le texte primitif de l’édition de 1579 et celui des éditions suivantes, je remarque dans ce morceau d’assez notables différences. L’auteur y a fait des corrections, et en général heureuses. Sur un ou deux points, je me tiens pourtant au premier texte.